Interview – Géraldine Le Roux anthropologue

Dans le cadre de notre initiative « Deplastify The Planet », MoHo vous propose de découvrir le portrait des 100 personnes clés qui comptent dans la lutte contre la pollution plastique. Chercheur, lobbyiste, activiste, entrepreneur, journaliste, politique,... Nous vous proposons de les rencontrer et de lire leur vision du sujet et des solutions pour éradiquer la pollution plastique. #DeplastifyThePlanet

Tu fais quoi dans la vie ?

Je suis enseignante chercheuse à l’université de Bretagne occidentale en France et chercheuse associée à la James Cook University en Australie, anthropologue et autrice d’une quarantaine d’articles scientifiques et deux ouvrages. Je suis également commissaire d’exposition, et la première curatrice à avoir présenté en France (2012) l’Art des ghostnets, des objets faits à partir de filets de pêche perdus ou abandonnés en mer. J’ai aussi participé à un projet de tour du monde à la voile avec un équipage 100% féminin dédié à la lutte contre la pollution plastique : l’eXXpédition. Enfin, je suis nouvellement lauréate d’une bourse du Conseil Européen de la Recherche pour le projet Ospapik, l’acronyme de “Ocean and Space Pollution, Artistic Practices and Indigenous Knowledges”. C’est une approche comparative des représentations et des pratiques artistiques faites avec ou sur les déchets plastiques marins et les déchets spatiaux. 

Sommes-nous (des) malades du plastique ?

Oui, pour moi c’est certain. Scientifiquement, nous connaissons bien les dangers que présente le plastique. De son “extraction” sous forme d’hydrocarbures jusqu’à sa consommation, sans parler de son éventuel et problématique recyclage. Pourtant, on constate que les États actuellement réunis pour avancer sur un traité international visant à limiter la pollution plastique font face à divers défis. Des négociations ont été lancées sous l’égide de l’ONU. Afin de mettre en place un accord international juridiquement contraignant pour réduire cette pollution. Le deuxième round s’est tenu en juin 2023 à Paris, NDLR] ont un mal fou à faire avancer le dossier. Cependant, dans la déclaration de Lanzarote publiée en 2022, 150 chercheurs du monde entier ont rappelé les études qui permettent de déterminer précisément la présence de plastiques dans le corps humain, les selles, le côlon, les poumons, le sang, mais aussi le lait maternel. Malgré cela, on ne change pas ou que trop peu. La résistance à se défaire du plastique et à prendre des engagements contraignants afin d’en réduire la production est une preuve de notre folie.

3 chiffres à avoir en tête ? 

Sur la question des déchets marins, une des premières estimations faites par Jenna Jambeck [chercheuse américaine spécialiste de la pollution plastique, NDLR] était de 2 à 8 millions de tonnes à entrer chaque année dans les milieux marins. Aujourd’hui, presque 10 ans plus tard, elles sont plus proches de 12 à 14 millions. Mais je n’aime pas trop les chiffres globaux car les situations sont très diverses selon les régions, les saisons, etc., donc je préfère les exemples concrets, “petits” mais parlants. 

Le premier chiffre qui m’a parlé quand j’ai commencé à travailler sur ces questions est celui du papier bulle. Si on mettait bout à bout la production annuelle de papier bulle, on pourrait faire 10 fois le tour de de l’Équateur

On peut aussi penser à la question des filets neufs avec des exemples concrets : parfois, des fileyeurs vont mettre 5 fois 500 mètres linéaire de filet en mer. Certains chaluts perdus peuvent peser plus d’une tonne. Lorsqu’ils deviennent des filets fantômes, il faut des grues pour les extraire, c’est compliqué. Donc un filet de pêche, on se dit que ce n’est rien, mais si on regarde à cette échelle, on se rend mieux compte. Et puis, il y a la question de la dégradation. Un filet de pêche perdu, c’est un méga-déchet qui libère des nano-particules plastiques. Il y a donc systématiquement un pan visible et un pan invisible. L’approche anthropologique et artistique permet de visibiliser ces variabilités, d’interroger nos paradoxes et ainsi de nous les rendre plus évidents.

Qu’est-ce qui ferait vraiment bouger les lignes ?

La première réponse doit être politique pour être structurelle et sortir de la seule réponse du petit geste individuel. Mais je crois aussi aux initiatives artistiques qui offrent des plongées dans un univers sensoriel. L’art amène à interroger le plastique à la fois comme objet et comme matériau. C’est au cœur de mon travail en tant qu’enseignante-chercheuse et anthropologue, penser cette notion de dégradation et de persistance du déchet. Parce qu’il permet une approche plus personnelle, l’art peut nous permettre de changer notre vision, peut-être finalement mieux que quelques discours ou campagnes de communication. Une introspection peut se faire dans la rencontre avec l’œuvre, quelque chose de plus sensible qui peut éviter les crispations et contourner les injonctions à changer, injonctions qui peuvent être mal perçues et même contre-productives. C’est la force de l’art d’amener du ludique ou de l’esthétique ; ici à quelque chose qui d’ordinaire est défini comme un déchet, sale ou anodin, et qui sous le geste de l’artiste devient merveilleux. 

Comment agis-tu dans ta vie au quotidien ? 

Je vais commencer par un chiffre : on estime que 1 000 milliards de sacs en plastique sont utilisés chaque année dans le monde, dont 100 milliards aux États-Unis. Donc j’en ai toujours un réutilisable avec moi. Il faut plus généralement apprendre à se défaire du contenant jetable, et les conseils des uns et des autres aident à adopter régulièrement de nouveaux gestes dans sa vie privée. Mais n’oublions pas pour autant que si ces petits gestes sont importants, c’est un changement structurel qu’il nous faut. 

Le premier objet du quotidien en plastique dont on peut se débarrasser ? 

Le premier objet à enlever de nos vies, bien évidemment, est la bouteille d’eau. Il faudrait qu’on ait tous des gourdes, au minimum dans les pays qui ont la chance d’avoir un système d’eau potable. Étant souvent en déplacement, j’ai plusieurs gourdes à différents endroits – dans mon bureau, mon sac de sport, mon cabas -, ce qui me permet d’éviter d’utiliser des bouteilles d’eau en plastique et des gobelets en carton. 

Un peu d’espoir ?

Je suis optimiste par rapport à la multiplication, ou plutôt au retour, des circuits courts. Dans un certain nombre de régions du monde, les gens reviennent au sac de course, au sac à baguette, etc., et c’est une bonne nouvelle. Et je vois des gens qui dupliquent les gestes inspirés par des œuvres d’art. Par exemple, j’ai rencontré un papa et son fils qui rentraient les bras chargés de filets collectés sur la plage. Ils m’ont dit avoir vu une exposition photo à Océanopolis, un des grands aquariums français, et c’était l’exposition qu’on avait montée avec nos étudiants pour promouvoir l’art des ghostnets. Donc ils avaient vu les objets au musée, puis les déchets sur une plage. Et ils ont eu envie de les collecter. Ce genre de petites choses montre que non seulement, on apprend aujourd’hui à regarder autrement les déchets plastiques et les plastiques neufs, mais aussi que cette idée de “re-garder” est importante. Nous devons changer nos modes de consommation mais aussi essayer de changer nos “modes d’être” avec les déchets plastiques. Baptiste Monsaingeon dans son ouvrage Homo detritus – Critique de la société du déchet parle de « faire monde avec les déchets ».

Un message pour les décideurs ?

Je pense que j’en ai deux. Le premier est de leur demander une régulation des produits chimiques dans l’industrie plastique. Le mot plastique est dangereux, c’est un fourre-tout qui occulte l’utilisation de différentes molécules, de résines, d’additifs et qui empêche les consommateurs de savoir ce qu’ils achètent, donc de se positionner. 

Ensuite, je pense que de nombreuses personnes sont prêtes à se défaire d’un certain nombre de plastiques inutiles, du suremballage et de nombreux plastiques jetables. Elles veulent de nouvelles solutions et il faut donc les aider à avoir un environnement sain et vivant. Il y a urgence et il ne faut surtout pas les décevoir. Voilà, si je devais m’adresser à eux, je leur dirais : ne les décevez pas. 

Et pour la jeunesse ?

Apprenez à regarder autour de vous, à comprendre de quoi est fait un objet en plastique et dans quel état de dégradation celui-ci est une fois qu’il est dans la nature. Essayez de ne pas le penser comme un déchet, mais comme quelque chose qui permet de faire de nouvelles choses. Dessinez-le, utilisez-le comme contenant, transformez-le… le déchet plastique peut être tout un monde à découvrir. Et si on le comprend mieux, alors il sera plus aisé d’apprendre à s’en défaire, sans oublier que cela peut aussi mener par la suite à des vocations professionnelles. 

Une info surprenante, sur le plastique, à nous partager ?

Une anecdote, plutôt déprimante, concerne notre “consommation plastique” lors de l’eXXpédition en voilier. Nous faisions constamment attention à ce que nous consommions, et tout ce que nous avions était peu ou pas packagé, principalement des produits naturels achetés lors des escales. Mais à deux reprises, alors que notre intention était d’être des actrices de l’étude de la pollution plastique et des ambassadrices du défi plastique, on a perdu, donc produit nous-mêmes des déchets plastiques. Une fois, un emballage s’est envolé ; une autre fois, notre drone est tombé à l’eau et nous n’avons pas réussi à le récupérer. Quelque chose se joue avec cette matière qui fait qu’une fois qu’elle existe, elle devient de fait presque ingérable

Un autre exemple : je ne peux pas m’empêcher de ramasser des fils de plastique, notamment sur la plage, donc j’en ai toujours dans les poches. Et je m’étonne chaque fois de retrouver des particules dans les poches, sur les vêtements, systématiquement. C’est aussi pour cela qu’on sensibilise les gens, notamment aux gestes de collecter et de transformer le déchet en un matériau artistique : ça amène à voir ce minuscule généré par le macro.  

Comment je peux en savoir plus ?

Je conseille le livre de Nelly Pons, Ocean Plastique – enquête sur une pollution globale (éd. Actes Sud), qui est vraiment une bonne référence pour comprendre le plastique dans son ensemble ; ainsi que la bande-dessinée Plastic Tac Tic Tac (éd. Mâtin) de l’autrice Capucine Dupuy et du dessinateur Terreur Graphique, qui montre l’ampleur de la pollution et propose des solutions. 

J’ai aussi sorti deux livres.

Le premier, Sea-Sisters – Un équipage féminin à l’épreuve de la pollution dans le Pacifique, (éd. Indigène, 2021) qui a reçu le Prix du Livre engagé pour la planète du festival du livre de Mouans-Sartoux). L’ouvrage raconte notre projet de tour du monde à la voile avec un équipage 100% féminin dédié à la lutte contre la pollution plastique. Il y a une sous-représentation des femmes dans un grand nombre de secteurs, notamment les sciences, techniques, ingénierie et mathématiques et dans le monde maritime, donc le but était de montrer qu’on peut être une grande scientifique, une ingénieure ou une skippeuse, que l’on peut porter un tel projet en étant une femme. L’autre raison qui motiva cet équipage 100% féminin est la question des polluants éternels : ces polluants organiques persistants imprègnent les corps et certaines études laissent entendre qu’ils peuvent passer de la mère au fœtus, ils ont donc un impact particulier sur le corps des femmes à étudier. 

Le deuxième livre, L’art des ghostnets – Approche anthropologique et esthétique des filets-fantômes (édité par le Museum national d’histoire naturelle, 2022, et Premier prix d’aide à l’édition du musée du quai Branly), est un ouvrage scientifique, très richement illustré, qui interroge le filet fantôme et montre les différentes formes d’attachement que l’on peut avoir à cet objet déchu. L’ouvrage est le résultat de dix ans d’enquêtes auprès de pêcheurs, de glaneurs, d’artistes et de collectionneurs d’art, en Australie, en Polynésie et en France. J’explique comment des artistes, notamment des Aborigènes et des Insulaires du détroit de Torres, transforment ce filet accidentellement perdu ou volontairement délesté en des œuvres magnifiques. 

Enfin, il y a un auteur océanien dont j’aime particulièrement le travail et qui restitue très bien la prégnance du plastique : Craig Santos Perez, un auteur chamorro de l’île de Guam et qui enseigne à l’université d’Hawaï.

Ton panthéon des personnalités incontournables du plastique ?

Je dirais Emily Penn, la fondatrice de eXXpédition, qui monte des expéditions maritimes depuis dix ans et qui a notamment travaillé avec Jenna Jambeck et Richard Thompson [scientifique marin à l’université de Plymouth, Angleterre, et inventeur du terme “microplastique”]. Ce sont pour moi deux des personnes-ressource majeures pour penser les déchets plastiques marins. 

Une autre personne serait Anita Conti, qui fut la première à alerter au début du XXe siècle sur la question de la surpêche mais aussi sur la monstruosité de ces engins de pêche. Désormais tous fabriqués en fibres synthétiques, ces filets une fois perdus dans les profondeurs marines deviennent des déchets persistants alors qu’autrefois, ceux en fibres naturelles se dégradaient in fine.

La troisième personne serait Riki Gunn, la fondatrice de Ghostnets Australia. C’est une femme, patronne de pêche, qui a été la première à alerter dans les années 90 sur la question de la multiplication des filets fantômes dans les eaux australiennes. Elle a œuvré à créer une dynamique, une alliance entre des pêcheurs, des scientifiques, des écologues, et des artistes ; et a permis de documenter le phénomène mais aussi de contribuer à, littéralement, faire sortir ces déchets de l’eau. C’est cette initiative qui est à l’origine du mouvement d’art des ghostnets.

En 2050, ce sera comment ?

On peut imaginer une succession de tsunamis comme celui qui a touché le Japon. Il a dispersé des déchets dans le cycle océanique, qu’on a retrouvés des années plus tard sur la côte ouest du Canada. À Vancouver, on peut d’ailleurs découvrir une poignante installation de l’artiste Peter Clarkson, à la fois un mémorial aux victimes du tsunami japonais et un cri d’alerte vis-à-vis de ces déchets pérennes. 2050 serait un monde qui étoufferait. Pendant des décennies, on a enfoui, relégué plus loin, toujours plus loin, aux marges de nos villes, de nos pays, un plastique qu’on a dit fantastique mais qui finalement revient toujours nous hanter sous une forme visible où invisible. L’ONU a parlé en 2017 d’ “apocalypse océanique”. Je me demande si 2050 pourrait être encore plus apocalyptique qu’aujourd’hui.

Mais on peut aussi essayer d’être positif, et imaginer des eaux partout autour du monde en bonne santé, avec plein de zooplanctons, de phytoplanctons, de poissons et des mammifères marins qui n’auraient plus besoin de venir au contact des bateaux ou des plongeurs pour se faire enlever les filets dans lesquels ils sont enchevêtrés. Et nos aliments en 2050 seraient sains car sans molécules chimiques, donc nous n’aurions plus peur de manger ni de porter la vie. 

© G. Le Roux.

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Interview – Marius Hamelot entrepreneur

Dans le cadre de notre initiative « Deplastify The Planet », MoHo vous propose de découvrir le portrait des 100 personnes clés qui comptent dans la lutte contre la pollution plastique. Chercheur, lobbyiste, activiste, entrepreneur, journaliste, politique Nous vous proposons de les rencontrer et de lire leur vision du sujet et des solutions pour éradiquer la pollution plastique. #DeplastifyThePlanet

Tu fais quoi dans la vie ?

Je suis l’un des deux cofondateurs de la société Le Pavé, architecte de formation. Le Pavé est une start-up industrielle spécialisée dans le développement et la production de matériaux durables pour le secteur du bâtiment, lancée en 2018. Depuis, nous avons développé nos deux premiers matériaux fabriqués à partir de déchets plastiques. Ils se présentent sous forme de panneaux utilisés pour de l’agencement intérieur, du mobilier, des objets, etc. La différence entre ces matériaux est leur source, c’est-à-dire la matière qu’on va utiliser.

L’un est fabriqué à partir de bouteilles de shampoing et de bouchons recyclés, avec les mêmes propriétés : flexible, résistant aux tâches et aux agents chimiques, etc. Ça en fait un très bon revêtement de mur ou un matériau pour de l’usinage. Le second est fabriqué à partir de portes de frigo, de polystyrène, de cintres, un plastique beaucoup plus rigide, plus structurel, qui peut être verni ou collé. Donc pour chaque matière, son matériau et ses applications, ainsi nous n’altérons pas les qualités du polymère.

Notre enjeu est de recycler à 100% mais aussi de proposer des matériaux 100% recyclables, donc nous n’ajoutons pas de résines. Si nos plans de travail fabriqués à partir de bouteilles de shampoing doivent redevenir des bouteilles dans 30 ans, c’est possible.

Sommes-nous des malades du plastique ?

Nous sommes malades de toutes les matières. Le déchet plastique est un peu l’archétype du déchet car on en produit en quantités faramineuses et ça continue d’augmenter de façon assez effrayante, donc c’est pour ça que nous nous attaquons à lui en priorité. Mais ce qui est vrai pour le plastique l’est pour le ciment, le métal, le verre, le lithium, etc. Nous sommes surtout malades de la consommation. Le plastique est un symbole, mais le problème est à tous les niveaux.

3 chiffres à avoir en tête ?

Quand nous avons démarré en 2018, 311 millions de tonnes de plastique étaient produites chaque année à l’échelle mondiale. Cinq ans plus tard, il y en a 450 millions. Notre production augmente, la quantité totale a augmenté, mais le ratio de recyclage n’a pas bougé et c’est ce qui fait peur. J’ajouterais aussi ce chiffre de 7 milliards de tonnes de plastique déjà présentes dans la nature. Une tonne pour chaque être humain sur cette planète.

Qu’est-ce qui ferait vraiment bouger les lignes ?

Ce qui est complexe avec la notion de déchet, c’est qu’un seul facteur ne peut pas changer le monde du jour au lendemain. Il faut intervenir à tous les niveaux, que tout le monde se bouge, que des start-ups se créent, que les industriels changent, que l’on revoit la manière dont on conçoit les produits, qu’on simplifie le nombre de résines présentes sur le marché, etc. C’est vraiment l’engagement collectif qui va permettre de faire bouger les choses. Si on attend une solution miracle, on peut attendre longtemps.

Par exemple, réduire le nombre de polymères pour supprimer les moins recyclables ou les plus dangereux est une des thématiques abordées dans les négociations de l’ONU contre la pollution plastique (voir l’interview de Tim Grabiel, lobbyiste auprès de l’ONU). L’Union Européenne voudrait qu’on arrête de produire une multitude de résines plastiques, sachant par exemple que plus d’un tiers des polymères sont dans la catégorie “autres”.

C’est le petit chiffre “7” que vous pouvez retrouver sur certains objets en plastique [les plastiques comportent obligatoirement un numéro compris entre 1 et 7 indiquant quel type de polymère il s’agit. Le n°7 regroupe tous les plastiques inclassables et les mélanges, et qui ne font pas partie des six principaux plastiques tels que le polystyrène, le PVC, etc., NDLR]. Ceux-là sont plus difficiles à recycler, donc c’est un levier important parmi d’autres.

Comment agis-tu, contre le plastique, dans ta vie au quotidien ?

On essaye de mettre notre engagement personnel au sein d’un projet entrepreneurial et chaque jour, quand on se lève, on se pose la même question :

« Comment diminuer la quantité de plastiques jetés ou brûlés ? »

On travaille avec des recycleurs, des collectivités, des éco-organismes. On va inventer des nouveaux procédés industriels de fabrication, comme un brevet qu’on a déposé de thermocompression pour garder la matière recyclable. Et puis on va travailler au contact des clients et des marques pour les sensibiliser, leur montrer que nos matériaux peuvent être recyclés, performants.

C’est comme ça qu’on agit, avec Jim, mon associé, et tous les membres de l’équipe. Et chacun dans notre domaine d’expertise, on essaie de faire bouger les choses autour d’un projet commun : diminuer le nombre de plastiques qui se retrouvent dans la nature et les océans. Le premier objet du quotidien en plastique dont on peut se débarrasser ? La bouteille d’eau est peut-être le plus simple. Il suffit d’une gourde. Et il y a plein de gourdes sympa en plus ! Je ne dirais pas que c’est le geste “nécessaire” car finalement on retrouve du plastique partout, tout le temps. Mais au moins, ça permet d’y penser chaque fois qu’on boit une gorgée.

Un peu d’espoir ?

Nous sommes profondément optimistes et persuadés que le travail qu’on fait n’est pas vain. Depuis 2018, je n’ai jamais rencontré un acteur, une personne avec laquelle j’ai échangé, qui n’a pas été touchée par ce qu’on essaye de faire et qui ne s’intéresse pas à la problématique environnementale, des déchets plastiques mais pas que. Et c’est encore plus le cas maintenant alors que tous les secteurs, que ce soit au niveau des recycleurs, des collectivités, des utilisateurs, ou des industriels, cherchent à aller dans le sens du recyclage et du développement durable. Parce que nous sommes conscients de ne pas avoir le choix. Donc nous sommes ultra positifs. Le challenge est énorme mais il faut le relever et pour ça mettre un maximum d’énergie et d’intelligence collective. C’est en collaborant, en se mettant tous autour de la table, PME comme multinationales, qu’on va y arriver.

Un message pour les décideurs ?

Il y a des leviers à activer pour aller plus vite, comme des fiscalités avantageuses pour les matériaux circulaires ou durables avec une très forte dimension d’éco-conception. Ça pourrait permettre de peser dans la balance décisionnelle via le facteur écologique et environnemental et non plus uniquement le facteur coût. Il faut repenser l’industrie, la réinventer, considérer les ressources environnementales et l’impact social. Sauf que ça coûte de l’argent, ça prend du temps, et cela nous amène à être un peu plus cher que des solutions existantes. Une fiscalité avantageuse pourrait aider, mais on ne va pas attendre que les choses bougent pour faire bouger les choses. Donc on travaille à mettre en place des nouvelles usines pour réduire nos coûts de production, proposer des matériaux plus accessibles, plus compétitifs.

Nous avons une usine pilote à Aubervilliers, et nous en ouvrons une deuxième, quatre fois plus grande, à Allériot, en Bourgogne-Franche-Comté. Nous voulons nous déployer partout en France puis dans le monde pour être présent dans chaque grande région, au plus près des consommateurs. C’est aussi extrêmement important pour nous : au-delà de la nécessité de transformer des tonnes de plastiques, c’est un enjeu de sensibilisation et de connexion au territoire, aux utilisateurs, pour retrouver du sens autour de l’industrie et des objets que nous consommons.

Et pour la jeunesse ?

Je ne sais même pas si je suis encore jeune ou pas (rires). Mais je dirais : essayons ! N’ayons pas peur d’essayer de changer les choses et dans le meilleur des cas, ça marche. Il faut aussi parler, qu’on essaie au maximum d’être transparents sur notre intervention et nos objectifs. C’est en partageant, en collaborant qu’on ouvre des possibilités et que des choses qu’on n’imaginait pas possibles le deviennent. Si, il y a 5 ans, on nous avait dit qu’on allait ouvrir prochainement une usine d’une capacité de transformation de 1000 tonnes, je n’y aurais pas cru. Et aujourd’hui, on prépare déjà l’ouverture des quatre prochaines ! Ça, c’est grâce au travail de l’équipe, mais aussi celui des partenaires, des financeurs qui qui ont cru au projet parce qu’on a communiqué, on en a parlé. Donc ne restez pas dans votre chambre ou votre cercle proche, allez faire bouger les lignes.

Une info surprenante, sur le plastique, à nous partager ?

Une information qui m’avait choqué, c’est qu’on mange l’équivalent d’une carte bleue de
plastique chaque semaine. Ce n’est pas très drôle, mais c’est parlant.

Comment je peux en savoir plus ?

Il y a des rapports ultra intéressants sur le plastique du Sénat [“Pollution plastique, une bombe à retardement ?”] et de l’Ademe, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie [“Plastiques : mieux comprendre le recyclage des emballages” ou encore “Connaître et comprendre l’impact des microplastiques dans les milieux”], disponibles en téléchargement libre et gratuit. Ce sont des vraies sources d’information pour rentrer dans le cœur de la problématique. Ensuite, il ne faut pas hésiter à croiser les sources, des éco-organismes, des industriels, etc. Dans ce monde du recyclage et des déchets, tout dépend d’un contexte parfois dur à appréhender et qui bouge extrêmement vite. Une vérité il y a un an n’est plus forcément celle d’aujourd’hui.

Ton panthéon des personnalités incontournables du plastique ?`

Au-delà d’une personnalité, on peut citer le travail d’associations comme Zero Waste ou Surfrider. Certaines entreprises, également tout aussi inspirantes, se sont créées et spécialisées sur cette thématique, comme Circul’R, un cabinet de conseil en économie circulaire qui travaille avec une multitude d’acteurs, des transformateurs, des grands industriels et autres. Entreprises, organisations, ONG : toutes permettent d’intervenir à une échelle différente pour lutter contre la pollution plastique. Je peux également citer des entreprises du monde du déchet, qui ont cette démarche de sensibilisation, comme Lemon Tri [qui développe des machines de tri intelligentes et incitatives pour optimiser la collecte et le traitement des emballages, NDLR] et qui sont aussi super inspirantes.

En 2050, ce sera comment ?

L’un de nos objectifs est de réinventer de nouvelles formes d’industrie, beaucoup plus modulaires et résilientes à l’échelle des territoires. Donc on espère qu’en 2050, nous aurons réussi à nous déployer, nous mais aussi l’ensemble du secteur. Nous aurons peut-être inventé un nouveau modèle productif beaucoup plus adapté aux ressources disponibles. L’économie sera, je l’espère, réalisée avec des productions décentralisées mais connectées les unes aux autres. “Think global, act local” : je pense qu’il faut vraiment aller vers ça et le retranscrire d’un point de vue industriel, ce qui peut arriver effectivement d’ici quelques années où décennies.

Considérer les autres et essayer de faire sa part au quotidien autour de soi.

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« Le plastique n’est pas un déchet comme les autres » MoHoDebate

Dans le cadre de notre initiative « Deplastify The Planet », MoHo a organisé, le 31 mai dernier son premier MoHoDebate à Paris sur le thème de la pollution plastique avec Nathalie Gontard, chercheuse à l’INRAE et Alexis Dusanter co-fondateur de Bocoloco.

Océan rempli de plastique

Quelques éléments forts de cet échange avant la vidéo.

Le plastique est il est un objet commun ? Et ensuite un déchet comme les autres ?

On associe souvent la pollution plastique à son empreinte carbone pourtant le plastique est un déchet à part qui a sa propre pollution : des particules de plastiques. C’est une forme de vieillissement très particulier où le plastique va se fragmenter sur un temps très long sans pour autant être inerte. Il est ainsi capable d’absorber les substances qu’il va rencontrer. En particulier les substances hydrophobes, particulièrement dangereuses pour l’environnement et la biodiversité. Par ailleurs, ce déchet, à sa taille nanoscopique, traverse les membranes des organes des êtres vivants, il va s’intégrer dans les organismes sans être reconnue comme un corps étrangers.

C’est donc une pollution particulière, qui va au delà de l’empreinte carbone. Il a sa propre empreinte, une empreinte plastique.

Photo d'Alexis Dusanter lors d'un échange au cours du MoHoDebate

Peut on faire confiance au recyclage ?

La notion d’économie circulaire et de recyclage ne colle malheureusement pas avec la particularité de ce matériau. Le plus belle exemple d’économie circulaire est offert par la nature. Rien ne s’accumule car notre écosystème possède les outils pour les dégrader et nourrir d’autres organismes qui peuvent ainsi se renouveler sans résidus permanents. Sauf que le plastique ne se prête pas à cela. C’est un matériau qui se dégrade, s’abime, reste et s’intègre dans l’environnement sans être digéré. On le retrouve dans l’air, l’eau, les êtres vivants.

Souvent lorsque l’on associe recyclage et plastique, on prend l’exemple des bouteilles PET. Cependant, le cycle de recyclage d’une bouteille en PET (1% des plastiques utilisés) est limité. La bouteille ne redevient bouteille en PET qu’un certain nombre de fois. Par ailleurs, chaque nouvelle bouteille exige près de 70% de plastique nouveau. Lorsqu’un industriel annonce qu’une bouteille est recyclée, en vérité elle a nécessité l’injection de plastique vierge à 70%.

Comment alors peut-on alors annoncer des chiffres de recyclage de 20% ?

Car le recyclage intègre plutôt du décyclage c’est à dire le fait de réutiliser le plastique dans un nouvel objet. Cette démarche ne créé donc par une boucle circulaire car elle doit être en permanence être alimentée. Cette logique impose un besoin de plastique vierge régulier. Surtout, on va chercher de nouvelles débouchées donc étendre les nouvelles utilisations du plastique. Enfin, tous les objets qui ont fait l’objet de décyclage ne sont plus recyclable. La pollution ne disparaît pas mais se stocke sous d’autres formes d’objet. Selon Nathalie Gontard, on devient ainsi dépendant de filières de recyclage plastique, filières exigeantes encore en plastique au dépend de filières verre, bois… Le recyclage a un vrai impact sur la pollution plastique. Le décyclage pérénise le système du toujours plus de déchets plastique.

Une partie importante du déchet plastique part dans des pays à qui on impose la création de filières de décyclage. Ces pays sont inondés du plastique occidental alors qu’ils n’ont pas la capacité de traiter l’ensemble et supportent des investissements dans des filières qui ne solutionnent en rien le problème. L’une des solutions seraient de respecter strictement la Convention de Bâle en interdisant strictement le fait d’exporter ses déchets plastiques et en imposant ainsi de les traiter au sein mêmes des pays consommateurs.

L’objet plastique n’est pas un objet anodin et son empreinte réelle n’est pas intégré au coût.

Photo de Nathalie Gontard lors d'une discussion au cour du MoHoDebate

Ainsi tous les déchet plastique sont avant tout une dette, un mauvais héritage qu’on lègue à nos enfants.

Si on maintient notre consommation telle qu’elle est, nous avons accumulé environ 9 milliards de tonnes sur terre alors que la biomasse sur la terre est de 2 milliards. Et si ces plastiques ne sont pas brûlés, ils vont nécessairement devenir des micro plastiques et donc s’intégrer à l’environnement et au Vivant.

Dans la suite de cette conférence, Nathalie Gontard et Alexis Dusanter reviennent sur des solutions, technologiques et comportementales pour diminuer l’impact de cette pollution.

Une chose à retenir malgré tout. Le plastique qui s’est inscrit dans notre quotidien par sa simplicité, sa commodité, son prix génère un immense coût caché. Il a transformé nos habitudes jusqu’à remplacer des comportements évidents et bénéfiques. Le retour de la consigne est une solution. La création de formats (bouteille, récipient…) standardisés en est une autre pour faciliter le traitement.

La solution la plus évidente reste de ne pas considérer le plastique comme un matériau normal. A partir de cette « ligne », il faut accepter que son utilisation devienne une « exception », une contrainte dont on mesure l’impact désastreux sur l’écosystème et dont il faut impérativement diminuer la consommation.

Merci à RaiseLab pour leur accueil, Romain Saillet pour la prise vidéo. Retrouvez la conférence sur la chaîne YouTube de MoHo dans quelques jours.

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Interview – Nathalie Gontard chercheuse

Dans le cadre de notre initiative « Deplastify The Planet », MoHo vous propose de découvrir le portrait des 100 personnes clés qui comptent dans la lutte contre la pollution plastique. Chercheur, lobbyiste, activiste, entrepreneur, journaliste, politiqueNous vous proposons de les rencontrer et de lire leur vision du sujet et des solutions pour éradiquer la pollution plastique. #DeplastifyThePlanet

Tu fais quoi dans la vie ?

Je suis directrice de recherche à l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), après avoir été chercheuse associée au CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) et professeure à l’Université de Montpellier et de Kyoto. Je coordonne notamment des projets de recherche européens ou internationaux sur des alternatives plus écologiques aux emballages plastiques. J’ai aussi participé aux réglementations françaises et européennes sur la sécurité sanitaire des emballages alimentaires et du recyclage des emballages plastiques.

Sommes-nous malades du plastique ?

Après la Seconde Guerre mondiale, la notion de progrès a été intimement liée aux produits issus du pétrole. L’énergie et le plastique, les “deux mamelles indissociables de notre progrès matériel” dont le monde industriel s’est emparé pour les démocratiser et soutenir le miracle de la croissance économique. Je ne vois plus aucun secteur industriel dont le plastique serait exclu. Le domaine du bois, pour fabriquer des meubles, est dominé par les plastiques “recyclés”, celui de la laine s’effondre sous le poids des fibres de polyester, etc.

Je ne vois plus aucun secteur industriel dont le plastique serait exclu. Le domaine du bois, pour fabriquer des meubles, est dominé par les plastiques “recyclés”, celui de la laine s’effondre sous le poids des fibres de polyester,

Le plastique fut donc le grand symbole de modernité des années 70. En 1972, le président Pompidou a fait “entrer la modernité à l’Elysée”. Ce sont ses termes, en remplaçant le mobilier de l’Elysée par du mobilier en plastique de Pierre Paulin, un célèbre designer.

Et c’est toujours le cas malheureusement. Quand on parle de transition, qu’elle soit numérique, énergétique, agroécologique, toutes ces nouvelles technologies utilisent massivement du plastique.

Notre concombre bio l’est parce qu’il a poussé sous une serre et sur des films de paillage en plastique, puis transporté sous plastique pour éviter les contaminations. La dématérialisation se matérialise sous la forme de nos ordinateurs, avec beaucoup de matériaux plastiques. Le progrès est toujours signé avec une consommation de biens matériels, pour l’infini majorité, en plastique.

Résultat, nous avons accumulé un réservoir de déchets plastiques qui continue de grossir et de se dégrader en micro et nanoparticules que l’on retrouve aujourd’hui absolument partout, jusque dans l’Antarctique… et nos corps. Partout où on en cherche, on en trouve. Aujourd’hui, nous en consommons au moins l’équivalent de notre poids corporel par personne et par an. Nous sommes drogués au plastique, au gain de temps, à l’achat de biens matériels, qui sont comme des doudous, des objets transitionnels qui nous réconfortent dans les moments de stress, et qui sont accessibles grâce au faible coût du plastique.

Et la machine continue de s’emballer : le plastique a créé de nouveaux besoins comme la fast-fashion nourrie de fibres synthétiques, la fast-food à emporter sous emballage plastique, la course à l’hygiène post-Covid avec des objets toujours plus jetables, etc.

3 chiffres à avoir en tête ?

Le Terrien contemporain utilise en moyenne l’équivalent en plastique de son propre poids chaque année, soit environ 68 kilos par an.

S’il est né dans l’hémisphère nord, il est même infiniment plus gourmand. Dans les pays les plus riches comme les Etats-Unis, l’Allemagne, la France, la Belgique ou l’Italie, chaque habitant consomme à lui seul plus de 100 kilos de plastique à l’année. L’équivalent d’environ 3 000 bouteilles d’eau. Le Terrien résidant en Éthiopie, en Tanzanie, au Yémen ou en Libye en utilise vingt fois moins. Soit moins de 5 kilos par an.

Ramené à une vie humaine, le bilan est vertigineux : il naît 2,7 enfants par seconde dans le monde. La production de 4 tonnes de plastique accompagne chacune de ces naissances en moyenne.

pollution plastique

Qu’est-ce qui ferait vraiment bouger les lignes ?

Il est assez facile de commencer par reconnaître que la plupart des plastiques que nous consommons ne servent plus notre bien-être. Ils encombrent notre vie, nos maisons, nos poubelles, notre environnement et nos corps. Alors qu’ils étaient censés nous faire gagner du bien-être, aujourd’hui on en perd. Le plastique nous met en danger. Il faudrait donc commencer par se demander : quels sont les plastiques dont nous pouvons nous passer. Les gouvernements nous proposent des solutions clé en main, de type recyclage, mais personne ne parle réduction de la consommation et élimination des plastiques inutiles.

Chaque secteur industriel doit se poser cette question. Il s’agit d’un chantier titanesque que l’on ne peut pas mettre sur le dos du consommateur. Le plus souvent, il n’est même pas informé que ce qu’il achète en contient. Ce qui plaide en faveur de la transparence et du devoir d’information du citoyen par nos pouvoirs publics.

Tous les biens de consommation contenant du plastique devraient être clairement et bien visiblement étiquetés.

Ça va aussi nécessiter que nos gouvernements s’indépendantisent vis-à-vis des intérêts économiques et des lobbies industriels.

Nous ne sommes actuellement pas capables de quantifier le nombre de morts qu’il y aura à cause du plastique, comme celui d’ailleurs qu’il y aura à cause du changement climatique. Ce sont des phénomènes complexes. Alors, on a tendance à ne pas regarder le problème et à rester dans le déni, alors qu’il faut prendre les mesures qui s’imposent pour s’écarter de ce risque, car là, on y va d’un pas décidé.

On a tendance à ne pas regarder le problème et à rester dans le déni, alors qu’il faut prendre les mesures qui s’imposent pour s’écarter de ce risque, car là, on y va d’un pas décidé.

Nous avons déjà inondé notre planète d’une quantité pharaonique de plastiques que nous sommes bien incapables de récupérer. Ce qui signifie que nous allons les retrouver dispersés partout sous la forme de micro et nanoparticules. On peut toujours envoyer des navires pour ramasser les gros déchets, mettre des filtres à la sortie des machines à laver, mais quel sens peut-on donner au ramassage à la petite cuillère d’une pollution monstrueuse, alors que nous n’avons même pas commencé à fermer les robinets qui la déversent en tombereaux ? Ne serait-il pas plus simple de moins produire ces déchets ?

Comment agis-tu, contre le plastique, dans ta vie au quotidien ?

J’essaie de choisir au maximum des produits sans plastique et de cultiver d’autres formes de plaisir et de bien-être que d’acheter des biens matériels. Je concentre mes efforts là-dessus et en évitant aussi d’acheter des objets en plastique recyclé car le plus souvent, il s’agit de plastiques “décyclés”. Le décyclage, contrairement au recyclage qui permet de reproduire un objet aux propriétés identiques, transforme un déchet ou objet inutile en un produit de qualité ou d’utilité moindre, en raison de la dégradation du plastique et de ses qualités au fur et à mesure de son cycle de vie. Ainsi, une chaise en plastique décyclée ne peut pas redevenir une chaise en plastique, mais uniquement des cintres ou des pots de fleurs.

Je préfère utiliser des récipients en verre car sinon, je sais que je ne contribue pas à réduire mon empreinte plastique. J’essaie de ne pas disperser mes efforts sur des solutions qui n’en sont pas. Il faut beaucoup de temps pour changer ses habitudes, alors quitte à prendre un virage, autant le prendre vers le bon cap, celui qui nous permettra de faire la différence sur le long terme.

Le premier objet du quotidien en plastique dont on peut se débarrasser ?

N’achetez plus de vêtements en poly…quelque chose, qu’il soit recyclé ou pas. Cherchez le coton, la laine, le chanvre, bref… cherchez les fibres biodégradables.

Photo d'un champ de coton

Le problème des vêtements en polyester recyclé est qu’on a cherché de nouveaux débouchés pour nos déchets plastiques, et l’un de ces débouchés, ce sont les vêtements, avec une image écologique injustifiée. Porter un vêtement en polyester recyclé ne fait pas du tout disparaître la pollution. Le déchet continue de se diffuser dans l’environnement. D’abord dans la machine à laver puis dans la décharge où le vêtement finira après 2 à 3 années en moyenne de bons et loyaux services.

Un peu d’espoir ?

Beaucoup d’espoir ! Car la solution est simple : réduire notre consommation de plastique devenue plus qu’excessive, et se passer des plastiques inutiles qui utilisent une grande partie de notre temps pour les produire, les acheter, les utiliser puis gérer leurs déchets, sans réelle contrepartie en termes de bien-être.

Le plastique biodégradable, à court terme, bien sûr que ça existe et c’est très bien que nous fassions des recherches à ce propos. Je travaille dessus avec mon équipe, mais ce sont des matériaux qui ne peuvent pas être produits à très grande échelle et résoudre significativement les problèmes dans un temps court. La portée de toutes les innovations actuellement en gestation, comme les plastiques biodégradables, le recyclage des monomères, la pyrolyse, etc., est bien trop limitée. Même mises bout à bout, ces solutions techniques ne feront disparaître qu’une infime partie des déchets que nous produisons. Le recyclage chimique qui ne coûte rien et permet de reconstituer des plastiques à l’identique. J’espère qu’on y arrivera, mais pour être honnête, je ne pense pas qu’on pourra sauver le monde avec dans les années à venir.

Le plastique biodégradable, à court terme, bien sûr que ça existe […] mais ce sont des matériaux qui ne peuvent pas être produits à très grande échelle et résoudre significativement les problèmes dans un temps court.

Un message pour les décideurs ?

Faites preuve de courage et de lucidité, en plaçant la réduction de notre consommation de plastique dans les mesures prioritaires, bien avant le recyclage. Informez, sensibilisez ! Sur la dangerosité du plastique et les gestes simples qui permettent d’en limiter les dégâts. Comme vous l’avez fait pour les méfaits du tabac, de l’alcool, les bienfaits des fruits et légumes ou de l’activité physique, ou encore plus récemment pour les antibiotiques.

« Les plastiques sont précieux mais dangereux, utilisons les moins et mieux ». Comme les antibiotiques, les plastiques sont utiles en petite quantité. Sans restriction ils deviennent dangereux et contre-productifs.

Et pour la jeunesse ?

Osez vous libérer de l’addiction de vos parents au progrès matériel et de l’obsession à gagner du temps. C’est en lâchant cette ligne de vie des trente glorieuses que vous pourrez enfin vous autoriser à naviguer vers de nouveaux horizons où le progrès se pensera autrement. En mobilisant des ressorts intérieurs encore peu explorés.

Osez vous libérer de l’addiction de vos parents au progrès matériel et de l’obsession à gagner du temps.

Une info surprenante, sur le plastique, à nous partager ?

Savez-vous ce que signifie plasticulture ?

a/ Une technique qui permet de baisser les coûts de production en agriculture, notamment biologique, grâce à l’utilisation du plastique.

b/ Une méthode qui consiste à produire des plastiques à partir des ressources agricoles.

c/ Un mouvement artistique visant à créer des œuvres à partir de déchets plastiques.

(réponse à la fin de cette interview)

Ton panthéon des incontournables du plastique ?

Je n’en ai pas vraiment (encore) malheureusement…

Comment je peux en savoir plus ?

Un ouvrage – Plastique, le grand emballement de Nathalie Gontard et Hélène Seingier (éd. Stock, 2020). Fruit de trente ans de travail et de réflexion, cet ouvrage fournit à chacun les connaissances essentielles sur un matériau complexe, pour faire des choix éclairés.

Une interview – Mon audition par le Conseil Économique Social et Environnemental (CESE) dans le cadre de la saisine « Vers un traité international sur la pollution par les déchets plastiques : enjeux, options, positions de négociations ».

Un court métrage –Le chant du Styrène (1958) d’Alain Resnais à partir du poème scientifique homonyme de Raymond Queneau (1957)

Un spectacle – Plastique, le grand emballement, une “conférence dérapante” sur les plastiques par Nathalie Gontard, Jade Duviquet et Cyril Casmeze de la compagnie du Singe Debout, pour écrire ensemble les prochains chapitres de l’histoire de cette matière séduisante, addictive et envahissante. A découvrir le 11 avril au Théâtre de la Reine Blanche, à Paris.

Un article scientifique : Recognizing the long-term impacts of plastic particles for preventing distortion in decision-making, 2022. Gontard N., David, G., Guilbert A., Sohn J.,Nature Sustainability

Une initiative artistique : How I made plastic pollution more shareable with a Mermaid and 10000 plastic bottles 

En 2050, ce sera comment ?

2050 sera…. avec beaucoup moins de plastique et d’objets à moteur. Les objets en plastique seront devenus plus rares, mais aussi plus chers. L’accumulation de biens matériels sera combattue comme toute autre forme d’addiction destructrice.

* Et sinon, la bonne réponse à la question 6 est “a” ! La plasticulture est un ensemble de techniques agricoles utilisant le plastique (filets, serres, etc.) pour réduire les coûts et augmenter la production. Ainsi nos légumes sont peut-être bios… mais aussi pleins de plastiques.

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Interview – Simon Bernard entrepreneur

Dans le cadre de notre initiative « Deplastify The Planet », MoHo vous propose de découvrir le portrait des 100 personnes clés qui comptent dans la lutte contre la pollution plastique. Chercheur, lobbyiste, activiste, entrepreneur, journaliste, politique,… Nous vous proposons de les rencontrer et de lire leur vision du sujet et des solutions pour éradiquer la pollution plastique. #DeplastifyThePlanet

Tu fais quoi dans la vie ?

Je suis président et cofondateur de Plastic Odyssey,

une expédition en bateau autour du monde pour lutter contre la pollution plastique. Le but est de travailler avec des entrepreneurs locaux pour mettre en place des systèmes de recyclage des plastiques et transformer leurs déchets pour en faire des objets utiles comme des canalisations, des tuiles, des pavés, etc. Donc, au final, créer des économies locales de recyclage dans des zones qui croulent sous les déchets. 

Pour cela, on propose de construire des usines semi-industrielles fabriquées dans des containers. Elles sont destinées aux professionnels du recyclage et permettent de traiter 100 tonnes de déchets par an et par micro-usine. Nous avons un exemplaire de toutes les machines nécessaires à bord du bateau, qui nous permettent de former, convaincre, et continuer à faire de la R & D.

En parallèle, nous travaillons aussi sur la réduction du plastique, autre axe essentiel. Nous cherchons des alternatives dans tous les pays d’escale et travaillons avec des enfants, plus de 2 000 accompagnés par 500 enseignants depuis le début de l’expédition, qui s’engagent et suivent un programme pédagogique pour faire changer les comportements et consommer mieux et différemment.

Photo du Plastic Odyssey naviguant sur l'océan

Sommes-nous des malades du plastique ?

On ne sait plus faire sans aujourd’hui : se nourrir, s’habiller, se soigner… Et c’est ça le problème, c’est un matériau qui a tellement intégré notre vie qu’on en est devenus dépendants. Or, il a un impact sur la biodiversité, et à la fin sur notre santé car il intègre la chaîne alimentaire et on le retrouve partout, le cerveau, le sang, l’eau, la bière… On commence à voir les premières maladies liées directement au plastique, notamment chez les oiseaux avec le plasticosis. On a peu de recul pour le moment, peu d’études sur le long terme, il est difficile de savoir ce qui nous attend, mais on peut facilement imaginer que ce ne sera pas incroyable d’ici quelques années pour l’humain.

Le plastique a un impact sur la biodiversité, et à la fin sur notre santé car il intègre la chaîne alimentaire et on le retrouve partout, le cerveau, le sang, l’eau, la bière…

3 chiffres à avoir en tête ?

On peut parler de la quantité de plastique déversée dans l’océan, soit 20 tonnes par minute, via les villes côtières en grande majorité et un peu via les rivières.

Il y a aussi ces chiffres intéressants : l’humanité a produit 6 milliards de tonnes de déchets plastiques depuis les années 50. Et il nous en reste un héritage de 5 milliards de tonnes à gérer. En effet, on en a traité à peine 1 milliard, c’est-à-dire recyclé en partie, mais aussi brûlé et enfoui. Les déchets plastiques recyclés jusqu’à aujourd’hui, c’est seulement 9 % de la production.

Les déchets plastiques recyclés jusqu’à aujourd’hui, c’est seulement 9 % de la production

Qu’est-ce qui ferait vraiment bouger les lignes ?

Agir à tous les nouveaux. C’est ça qui est compliqué, il n’y a pas une solution miracle. On dit souvent “ce sont les politiques qui doivent changer”, ou les industriels, ou le consommateur, et au final c’est le triangle de l’inaction. Chacun remet la faute sur l’autre. Non, tout le monde doit agir, les industriels doivent trouver des solutions alternatives et investir dans la recherche, les politiques doivent interdire certains types de plastique, etc.

Comment agis-tu, contre le plastique, dans ta vie au quotidien ?

En mer, le quotidien est un gros challenge car le bateau doit aussi être un démonstrateur de la réduction de l’utilisation de plastique. Donc la vie à bord se fait sans, on teste des solutions. Dans la salle de bain, c’est assez facile. Mais par exemple, il n’y a souvent pas d’eau potable dans les pays où l’on va. Il a donc fallu mettre en place un système de potabilisation de l’eau pour boire à la fontaine et non à la bouteille. Ensuite, quand on va s’approvisionner, il faut faire les courses pour 20 personnes, trouver à acheter en vrac, ce n’est pas toujours évident. Une fois, nous avons dû trouver du café vert qu’on a dû torréfier nous-même, car on ne trouvait pas de quantités suffisantes de café moulu pour l’équipage qui ne soient pas emballées dans du plastique.

A la maison, ce sont des solutions un peu différentes. Plus simples, car nous n’avons pas les mêmes contraintes que la vie en collectivité. Mais dans le milieu professionnel, on ne peut pas faire ce qu’on veut, on doit être encore plus ingénieux, par exemple pour conserver les aliments sans cellophane, ce qui se fait normalement dans toutes les cuisines professionnelles. Mais on y arrive.

Le premier objet du quotidien en plastique dont on peut se débarrasser ?

En France, c’est la bouteille d’eau. C’est quand même facile d’acheter une gourde et de penser à la prendre avec soi, et ça ne prend pas plus de place qu’une bouteille. Sur le Plastic Odyssey, nous avons mis en place un système de filtration et de potabilisation de l’eau : avec ça, nous avons économisé 3 000 bouteilles d’eau depuis le début de l’expédition, en 6 mois.

bouteilles d'eau en plastique avec bouchon blancs
© Jonathan Chng

Un peu d’espoir ?

Ce qui me donne espoir, c’est rencontrer tous ces entrepreneurs à chaque escale et qui ne nous ont pas attendu pour commencer à se bouger, à recycler, à trouver des alternatives. Ils mettent déjà en place des solutions sur le terrain, y compris et peut-être encore plus, dans les pays les plus pauvres. Nous étions récemment au Liban, un pays très touché par la crise économique et la guerre. Et on n’avait jamais vu autant d’entrepreneurs motivés pour faire des choses, alors qu’on pourrait se dire qu’il n’y a plus rien à perdre, d’autres priorités, etc. Mais non. L’espoir est dans le fait de voir tout ça comme une chance, pas un problème : la chance de créer des solutions, des matériaux utiles, des emplois,…Bref, résoudre des problèmes avec les déchets.

Un message pour les décideurs ?

Je vais revenir sur le concept de triangle de l’inaction, où chacun remet la faute sur l’autre. Donc non, il faut que nos décideurs, politiques ou économiques, prennent conscience de ça. Arrêtez de demander aux autres d’agir à votre place, c’est aussi à vous de casser ce triangle.

Et pour la jeunesse ?

Il est important de prendre conscience que les voies qui s’ouvrent à nous sont nouvelles. Elles n’ont pas été défrichées, il faut oser sortir des sentiers battus et explorer. On ne peut pas calquer ce qui a été fait jusqu’alors car on a vu que ça ne marche pas. Or, nous sommes confrontés à des gens qui nous disent “mais non, ça ne marche pas comme ça, nous, ça fait 30 ans qu’on fait plutôt comme ça”. Eh bien non, il faut trouver de nouvelles manières de faire et ne pas avoir peur. C’est ce qui nous anime, tester, faire de l’open source quand tout le monde parle de brevets, décentraliser quand tout le monde parle de centraliser, etc. Il faut suivre son instinct, ne pas avoir peur d’essayer, de se tromper, même d’échouer, ça ne pourra pas être pire que ne rien faire.

Il faut suivre son instinct, ne pas avoir peur d’essayer, de se tromper, même d’échouer, ça ne pourra pas être pire que ne rien faire

Une info surprenante, sur le plastique, à nous partager ?

Il existe un phénomène que les scientifiques appellent le “mystère plastique” : on sait qu’on a mis beaucoup de plastiques dans l’océan, on continue à le faire, mais on ne sait pas où il est. Quand on le cherche à la surface, on ne le trouve pas, ou alors en faible quantité. Car, on peut parler de “7e continent”, mais la réalité est que si on ramasse la totalité de ce “continent de déchets”, ça ne représente que ce qui est déversé en deux jours dans l’océan.

Une des hypothèses estime que la plus grande partie s’est ré-échouée sur les côtes (44 %), captée par la végétation. Le reste a coulé (35 %) ou s’est transformé en microparticules (21 %). Mais des scientifiques, comme François Galgani, océanographe au CNRS, privilégient une autre piste, basée cette fois sur des mesures et non sur des modèles mathématiques comme la précédente. Le plastique “manquant” ne se serait pas sur les côtes mais aurait majoritairement coulé au fond de l’eau où il se dégrade lentement. Ainsi, seul 0,6 % du plastique déversé dans l’océan flotterait à sa surface !

Morceaux de plastique coulant dans l'océan
© Naja Bertolt Jensen

Ton panthéon des incontournables du plastique ?

Le designer industriel Dave Hakkens, de Precious Plastic, a monté un réseau de recycleurs en mettant à disposition des logiciels open source pour que chacun puisse agir et recycler du plastique. C’est à une petite échelle et ça reste plutôt de la sensibilisation, mais l’approche communautaire et open source qu’il porte nous a beaucoup inspirés dans ce qu’on fait aujourd’hui.

Il y a aussi Jenna Jambeck. Elle est un peu LA scientifique référente sur la pollution plastique. Quand on parle des quantités astronomiques de plastique qui arrivent dans l’océan, toutes les données sont basées sur ses travaux. Elle est l’une des chercheuses qui nous donnent les chiffres mais nous disent aussi comment agir.

Comment je peux en savoir plus ?

On peut suivre l’expédition sur tous les réseaux, notamment sur notre compte Instagram. Nous avons une web-série qui vient de commencer (chaque épisode est une escale, et la première est à Dakar), avec un épisode diffusé chaque mois par Canal+ via sa collection Les Eclaireurs. Un livre et un documentaire télé sont aussi en préparation, vous pouvez nous suivre sur Twitter pour être tenus informés.

Enfin, pour avoir plus d’infos, nous avons créé un dossier sur toutes les fakes news de la pollution plastique, du genre “on peut nettoyer l’océan en collectant les déchets qui flottent” ou “90 % de la pollution provient de 10 rivières”. On éclaircit tout ça en donnant toutes les vraies sources scientifiques pour y voir plus clair.

En 2050, ce sera comment ?

Le scénario très optimiste, c’est qu’on arrive au moins à stabiliser la production de plastiques, voire la réduire un peu… Mais stabiliser est déjà très optimiste. Et donc, dans nos vies d’Européens, voir beaucoup moins de plastique, beaucoup moins d’emballage à usage unique, voire plus d’emballages du tout avec le retour à la consigne et à la réutilisation et, bien sûr, moins de déchets dans les rues.

Nous ne sommes pas du tout sur la pente décroissante de la pollution. Même si on a l’impression qu’en ce moment, tout le monde en parle et agit, on observe l’inverse dans les chiffres.

Le pessimiste, c’est que les efforts qu’on aura entrepris ne seront pas suffisants pour contrer la production exponentielle de plastique, et qu’on se retrouve au bout du compte à avoir la même pollution, voire pire. Si on regarde de manière cartésienne les dernières études, c’est bluffant : si on continue sur notre lancée, les scénarios qui partent de 10 millions de tonnes de plastique dans l’océan aujourd’hui montent à 60 millions de tonnes en 2050. Et les scénarios “optimistes” sont autour de 30 millions. Donc ça va déjà être difficile de se stabiliser même si on couple tous les efforts, réduction, nettoyage et recyclage. Nous ne sommes pas du tout sur la pente décroissante de la pollution. Même si on a l’impression qu’en ce moment, tout le monde en parle et agit, on observe l’inverse dans les chiffres.

Retrouvez également le MoHoTalk avec Simon Bernard

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Interview – Tim Grabiel, avocat engagé

Dans le cadre de notre initiative « Deplastify The Planet », MoHo vous propose de découvrir le portrait des 100 personnes clés qui comptent dans la lutte contre la pollution plastique. Chercheur, lobbyiste, activiste, entrepreneur, journaliste, politique, nous vous proposons de les rencontrer et de lire leur vision du sujet et des solutions pour éradiquer la pollution plastique.

Merci Tim d’avoir accepté notre invitation. Pouvez-vous nous rappeler qui vous êtes ?

Je conseille et accompagne des Etats ou des organisations internationales pour régler des questions environnementales. J’ai par exemple travaillé sur le Protocole de Montréal, probablement le plus important traité environnemental international de l’Histoire, qui a progressivement interdit les gaz appauvrissant la couche d’ozone et donc a permis de résorber le trou de la couche d’ozone. Je suis maintenant impliqué auprès de l’ONU pour co-construire un traité international visant à limiter la pollution plastique. C’est l’un des plus gros challenges de notre génération.

Je suis maintenant impliqué auprès de l’ONU pour co-construire un traité international visant à limiter la pollution plastique

Sommes-nous des malades du plastique ?

On a mis plus de plastique sur le marché ces 20 dernières années que tout ce qui avait déjà été produit jusque-là depuis que ces matériaux existent. Et on commence à en voir les dommages : dans certaines régions, les sols ont tellement de particules qu’ils ne sont plus fertiles.

Or, on ne peut pas réduire la pollution plastique sans s’intéresser à la production de plastiques vierges.

Il faut commencer le travail au moment où le plastique est conçu, c’est ce qu’on appelle la polymérisation. Il y a des polymères particulièrement problématiques à éliminer en priorité, parce qu’ils sont toxiques, impossibles à recycler, ou facilement remplaçables. Ensuite, il faudra réduire la consommation des autres plastiques, avec un gel de la production.

pollution plastique dans les océans

Pendant longtemps, on ne s’est pas rendu compte de la dangerosité de ces matériaux, malgré quelques images choquantes de tortue avec une paille dans le nez. Mais ce n’est pas le seul problème. Par exemple, la pollution aux microplastiques pour la vie marine est équivalente à la pollution de l’air pour nous.

Il faudrait trouver un seuil marquant, à l’instar du 1,5°C pour le climat, au-delà duquel la vie ne serait plus possible pour les espèces marines, ou du moins au-delà duquel l’océan perdrait ses fonctions clés.

Je ne doute pas qu’il existe des seuils pour les microplastiques dans l’océan au-delà desquels nous subirons des impacts fondamentaux et irréversibles. Tout comme 1,5°C est le moteur de l’ambition climatique en raison de la planète fondamentalement différente que nous laisserons à nos enfants si nous dépassons ce seuil, j’aimerais savoir quel est l’équivalent pour les plastiques afin que nous puissions également tracer une ligne rouge.

Nous savons maintenant que les principales sources de microplastiques sont la poussière de pneus, les fibres textiles et les granulés eux-mêmes, ces matières premières que vous moulez et fondez. Ces sources pénètrent dans l’environnement directement sous forme de microplastiques et sont très problématiques car elles peuvent pénétrer directement dans les organismes, ce que les macroplastiques ne font pas.

Et puis, c’est quand même une problématique qui va nécessiter des changements immédiats et importants dans nos styles de vie, donc il a fallu du temps pour qu’on s’y intéresse.

la pollution aux microplastiques pour la vie marine est équivalente à la pollution de l’air pour nous

Quels sont les 3 chiffres à avoir en tête ?

Nous avons produit environ 460 millions de tonnes de plastique en 2019, ce qui a généré 1,8 milliard de tonnes d’émissions de gaz à effets de serre.

Environ deux tiers des plastiques produits ont une courte durée de vie, comme les emballages ou les plastiques à usage unique.Enfin : il y a plus de microplastiques dans l’océan que de zooplancton.

Qu’est-ce qui ferait vraiment bouger les lignes ?

Ce serait une grosse erreur de l’accord international sur la pollution plastique que nous sommes en train de négocier que de reproduire ce qu’on a fait avec l’accord de Paris, c’est-à-dire ce qu’on appelle des “contributions déterminées nationalement”. Si on laisse les pays dicter leur propre niveau d’ambition, ça va être nivelé par le bas, avec des pays devant et d’autres qui traînent derrière. Le plastique, c’est un problème global qui a besoin d’une solution globale, donc on doit s’assurer qu’il y aura un socle commun qui s’appliquera à tous. Et pour ça, il faut des mesures légales et contraignantes. Je milite pour une approche équivalente à celle du Protocole de Montréal, qui comprend des mécanismes permettant de mettre en place des interdictions dans le futur sans ratifications supplémentaires. Ainsi, nous n’avons pas besoin de construire toute la maison maintenant, il nous faut simplement des outils et des fondations.

Comment agis-tu dans ta vie au quotidien ?

Chaque jour est différent, c’est l’un des aspects que j’apprécie le plus dans mon job, et j’agis justement en faisant mon travail. Certains jours sont plus calmes, à examiner des documents, consolider des informations, des arguments et des politiques ou préparer des briefs. D’autres jours sont plus tournés vers l’extérieur, avec les médias et les parties prenantes. Mais mon activité préférée est d’impliquer les gouvernements, qu’ils soient ou non animés des mêmes idées, influer leurs priorités, leurs positions et leurs stratégies. Pour une question comme celle qui nous anime, la négociation d’un instrument international entièrement nouveau pour faire face à une crise planétaire – la pollution plastique -, il y a beaucoup de travail à faire entre les grandes réunions officielles.

Dans l’ensemble, j’estime que mon travail a eu un impact considérable : de nombreux gouvernements ont maintenant plus d’ambition sur des tas de questions, aussi bien les problématiques de fond que la conception de mesures de contrôle tout au long du cycle de vie des plastiques ou des points plus techniques comme la conception d’un cadre qui non seulement produira des résultats immédiats, mais qui pourra évoluer avec le temps. Cette entreprise sera un effort générationnel, nous devons admettre que nous n’avons pas toutes les réponses maintenant.

Le premier objet du quotidien en plastique dont on peut se débarrasser ?

Les bouteilles en plastique. Le simple fait d’acheter une gourde et de l’avoir toujours avec vous est l’un des moyens les plus efficaces pour réduire votre consommation quotidienne de plastique.

pollution plastique sur terre. Photo d'un terrain complètement abandonné et saccagé par le plastique.

Un peu d’espoir ?

L’approche que nous avons adoptée pour le protocole de Montréal qui s’attaque à la couche d’ozone a été une réussite, en commençant en amont dès la production des substances. C’est ce qui fait que Montréal est considéré comme l’accord environnemental multilatéral le plus réussi au monde. Nous avons plaidé pour cela pour le prochain accord sur le plastique, et il y a un certain nombre de pays qui y croient fermement. De l’autre côté, il y a l’industrie, des marques comme Nestlé, Unilever, Pepsi ou Coca Cola, qui savent que ce sont leurs marques qu’on retrouve sur les bouteilles échouées sur la plage. Il y a un vrai risque pour leur réputation et elles ont un vrai désir de se diriger vers un modèle plus tenable. 

Un message pour les décideurs ?

Nous devons avoir le courage d’adopter des mesures de contrôle sur la production de plastique vierge, en éliminant les polymères problématiques qui sont toxiques, pratiquement impossibles à recycler et pour lesquels des substituts existent, et en parallèle de fixer des limites à des niveaux durables pour ceux que nous utilisons. Si nous n’abordons pas cette pollution plastique avec des mesures en amont, nous nous enfoncerons encore plus.

MoHo met la jeunesse au coeur de toutes nos actions. Quel message avez-vous pour eux ?

Feu ma grand-mère disait toujours que face à un problème, on peut faire n’importe quoi ou quelque chose, et ce n’est pas la même chose. Vous avez hérité d’une Terre qui, bien que ce ne soit pas de votre faute, souffre : changement climatique, pollution, perte de biodiversité… Ce ne sont pas des petits défis à relever. Je vous encourage à avoir la sagesse d’être impactants et le courage d’être déterminés.

Une info surprenante à nous partager ?

Il y a près de 25 ans, quand j’étais jeune et insouciant, j’étais sur une plage du Costa Rica à récolter des graines pour fabriquer des bracelets et des colliers. C’était un de mes passe-temps à l’époque. Et j’ai remarqué ces étranges petites choses rondes, de la taille d’une lentille, partout sur la plage. Ce n’étaient pas des cailloux ou des gros grains de sable, car je pouvais y enfoncer mon ongle. J’en ai rassemblé quelques-uns dans une boite de pellicule photo puis je suis rentré, j’ai repris la faculté de droit, et j’ai tout mis dans des boîtes.

Vingt ans plus tard, je suis à Paris et je travaille comme avocat spécialisé en environnement. Je venais de me lancer dans les plastiques et l’un des premiers problèmes sur lesquels je travaillais était les granulés, également appelés larmes de sirène, la matière première du plastique qui est fondue et moulée par les industries. Ils forment une source majeure de pollution par les microplastiques. En déballant des cartons après un déménagement, je me suis dit que mes enfants apprécieraient de faire, comme moi autrefois, des bracelets avec des graines, alors j’ai rouvert la boîte et je suis tombé sur le boîtier de film. Je l’ai ouvert, j’ai versé les billes dans ma main et, travaillant maintenant sur le problème, j’ai immédiatement réalisé ce que c’était : des microbilles de plastique.

J’avais ramassé sans le savoir ces billes qui polluaient une plage du Costa Rica il y a des décennies et qui polluent encore nos océans à ce jour. J’emporte toujours maintenant ces billes avec moi lors de réunions, pour partager l’histoire et inciter à l’action.

plage polluée aux billes microplastiques

Ton panthéon des incontournables du plastique ?

Juliet Kabera, directrice générale de l’Autorité rwandaise de gestion de l’environnement, et co-autrice du projet de résolution de la 5ème session de l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement (UNEA) qui a ouvert les négociations sur le traité international contre la pollution plastique.

A un niveau national, le Rwanda est déjà leader dans le domaine, ayant éliminé la plupart des types de plastique à usage unique. L’arrivée de ce pays sur la scène internationale a changé les termes du débat : en tant que pays enclavé, sans littoral, il a fait comprendre aux autres que la pollution plastique ne concerne pas seulement les déchets marins mais aussi les terres, et que nous devons repenser notre production et notre utilisation du plastique. Juliet continue de défendre un niveau élevé d’ambition dans les négociations mondiales en tant que membre du bureau du Comité de négociation intergouvernemental (INC) et coprésidente de la High Ambition Coalition to End Plastic Pollution.

Il ne faut pas non plus oublier la société civile, les héros méconnus de cette histoire. Elle en a fait un enjeu avant que ce ne soit un enjeu, luttant sans relâche pour convaincre un gouvernement après l’autre que nous devons nous unir pour faire face à cette crise planétaire. Ces débuts ont été difficiles et, sans leur énergie, nous n’en serions pas là où nous en sommes aujourd’hui : négocier un traité international. La société civile continue d’être à la pointe de l’ambition, apportant témoignages et arguments et demandant des comptes à nos dirigeants.

Comment je peux en savoir plus ?

La pollution plastique a capté l’imagination du public et des décideurs, et les informations ne manquent pas. Mon organisation, l’Environmental Investigation Agency, a produit de nombreux contenus sur la pollution plastique ainsi que sur la manière de la traiter, tels que les granulés, les emballages, les déchets plastiques, le matériel de pêche, les plastiques agricoles et de nombreux autres sujets, y compris le traité mondial sur le plastique. Je suggérerais donc notre site web et nos médias sociaux (nous avons un compte Insta avec plein de funfacts – saviez-vous que l’élevage était la cause n° 1 de la déforestation en Amazonie ? -, un compte Twitter, et bien sûr une page Facebook) comme point de départ.

En 2050, ce sera comment ?

Nous sommes à une croisée des chemins pour notre planète. Nous savons déjà qu’en 2050, la Terre sera beaucoup plus chaude, moins résiliente et plus chaotique. Mais nous ne savons pas si elle sera invivable, en proie à une pauvreté sans fin, à la guerre, à la sécheresse et à la famine, ou si nous serons sur la voie de la reprise avec le pire derrière nous. C’est ce qui est en jeu cette prochaine décennie et c’est pourquoi nous devons être ambitieux et capables d’aller vers de grands changements.

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Portrait : Olivier Cotinat, co-fondateur de MoHo

Les Échos publient un portrait d’Olivier Cotinat co-fondateur de MoHo mais également de Schoolab et RaiseLab. Retrouvez le parcours de cet entrepreneur engagé et sa vision pour MoHo.

Dans cet article de Guillaume Bregeras, Olivier revient sur la vision de MoHo, l’origine du projet et son ambition : créer un nouveau D-Day du Positive Impact impliquant de nouvelles coalitions d’acteurs  sur de grands enjeux de Société. 

Découvrez le portrait Les Échos d’ Olivier Cotinat

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Interview d’Eric Joan, CEO Hamelin Brands, Président de la Fondation D-Day Innovation Foundation

Portrait d'Eric Joan, le président de la fondation D-Day Innovation

Vous avez été parmi les premiers à faire partie des mécènes de MoHo. En quoi ce projet est-il unique en Europe ?

Ce projet est unique en Europe parce qu’il a la prétention de rassembler autour d’un même lieu, à la fois des entreprises, des étudiants, des citoyens, des chercheurs pour travailler ensemble des sujets d’innovation.

En quoi est-il également essentiel pour la région ?

Dans cette révolution numérique que nous voyons tous en ce moment, je pense que la région doit monter et ne doit pas laisser passer ce train de cette transition numérique, ce projet est une vraie chance pour Caen, pour le bassin Caennais, pour la Normandie et toute la région, de pouvoir concentrer ce pôle, et ce projet dans cette belle ville.

Quel impact ce projet a-t-il sur l’entreprise et ses collaborateurs ?

L’entreprise qui est une entreprise, de plus de 150 ans, qui évolue dans un secteur traditionnel, celui de la fourniture scolaire, et de la fourniture de bureau, est en pleine transformation elle aussi, et j’ai trouvé que adhérer à ce projet était aussi un moyen de faire participer l’ensemble des équipes autour de quelque chose qui va plus loin que l’entreprise, qui lui donne une dimension plus globale.

Pourquoi avoir accepté la Présidence du Fonds de Dotations ?

Ce projet comme vous le savez a été initié par des entrepreneurs qui ont eu le courage d’imaginer, de concevoir et tenir ce projet à bout de bras depuis sa genèse.

Les collectivités locales sous le leadership de Caen-la-mer et de Joel Bruneau et avec le soutien de la Région Normandie ont été séduites par ce projet. Caen-la-mer a saisi l’opportunité d’acquérir ce bâtiment, et financer la réhabilitation de ce lieu qui va être louer au MoHo.

Dès le début du projet, la décision a été prise de créer un bras philanthropique pour soutenir des missions d’intérêt général pour les citoyens qui vivront notamment dans les 1.500m2 totalement gratuit du MoHo. L’implication des mécènes rend ce projet unique.

C’est vraiment un partenariat public/ privé d’une nouvelle forme.
Il était selon moi nécessaire de clarifier les choses, entre les initiateurs de MoHo et futurs exploitants, et les mécènes comme Hamelin, qui ont soutenu ce projet et qui vont continuer à le porter et y participer de façon active. Il était donc nécessaire de séparer l’exploitation de ce lieu, du côté des entrepreneurs de l’équipe MoHo, et de la partie des mécènes. C’est avec beaucoup d’enthousiasme que j’ai accepté la présidence qui représente les entreprises de la région, de France et international et qui soutiennent ce projet.

Quelles sont les prochaines étapes du Fonds de Dotations ?

La prochaine étape est de constituer à recruter des nouveaux mécènes, en terme de financement des aménagements, nous n’en sommes qu’au début.
Et puis ce fond de dotations a une vie propre, qui va au-delà de la création de ce lieu, puisque nous avons l’ambition de porter à travers le fond des actions qui s’appuieront sur ce lieu sur le MoHo mais qui iront plus loin en faveur de l’intérêt général, des populations locales, des étudiants, donc il nous faut de l’argent, donc il faut recruter des nouveaux mécènes, expliquer en quoi ce projet magnifique est un projet pour la région et pour le pays, et puis, continuer à développer ce mécénat.

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Innover mieux avec moins

Camille BOMBASARO, Business Developper au Moho

Au printemps, je me suis rendu chez mes parents, j’aperçois alors mon beau-père en train de rénover une partie de la façade de la maison. Un problème me vient rapidement à l’esprit, comment va-t-il monter à près de 7 mètres de haut avec son sceau et sa truelle quand la seule échelle que l’on a ne doit pas excéder les 4 mètres. “On verra bien” me dit-il. Lorsque je reviens un mois plus tard chez eux, j’aperçois un étrange objet. A l’échelle initiale était fixée une échelle artisanale composée de lames de bois pour l’armature et de barres de métal pour les marches. En haut de cette structure, une plateforme faite de palettes d’environ 50x50cm lui permettait de se tenir debout avec le sceau à ses pieds. Il s’était même créé une barrière de protection à l’aide de barres en métal ou bois diverses.

  • Que s’est-il passé ?

Mon beau-père avait un besoin : Pouvoir atteindre la partie haute de la façade pour poser son enduit.

Deux principaux freins se posaient à lui : Il est impossible de faire rentrer une nacelle dans le jardin et cette solution est assez coûteuse.

Bien bricoleur comme il est, il s’est donc créé sa propre “nacelle” à l’aide de ce qu’il avait déjà sous la main. Je le soupçonne même de s’être beaucoup amusé en créant cela.

Aujourd’hui, alors que je veux vous parler d’innovation frugale, cet exemple me vient en tête et je le trouve à point nommé pour illustrer mes propos.

  • Qu’est ce que l’innovation frugale ?
Homme sciant un tronc grâce à une scie liée à son vélo

La frugalité induit une notion de sobriété, de simplicité, d’absence d’abondance. L’innovation frugale implique donc de répondre de la manière la plus simple et moins chère possible à un besoin détecté à l’aide de ce que l’on a à disposition. Il nécessite pour cela de se débarrasser de toutes les fonctionnalités superflues qui ne répondent pas directement au problème initialement détecté.

Là où il ne pourrait s’agir que du simple système D d’une personne un peu débrouillarde, des entreprises se sont approprié le concept pour créer des offres innovantes et les commercialiser.

Prenons l’exemple de Renault. Lorsque l’entreprise décident de créer la Dacia Logan, elle cherchent à répondre à un besoin simple des habitants d’Europe de l’Est à savoir : Acquérir une voiture pour se déplacer. Plutôt que de vouloir mettre en avant leurs véhicules construits pour l’Europe de l’Ouest et qui étaient pour la plupart hors budget, ils ont décidé de proposer une voiture débarrassée de ses options superflues et construite sur place en partenariat avec des entreprises locales. Cela a tellement bien fonctionné que ces voitures ont même remporté un franc succès en France et dans le monde qui n’étaient pourtant pas ses marchés initialement prévu.

Pour cela, les équipes d’ingénieurs n’ont pas été mises à contribution afin de savoir comment améliorer les performances du véhicule mais plutôt savoir comment rendre sa production la moins coûteuse possible. De nombreux éléments du véhicule ont donc été simplifiés afin de réduire le nombre d’opérations sur les chaînes de montage. Les usines utilisent la main d’oeuvre locale et achètent leur matériaux auprès de fournisseurs locaux.

On parle bien évidemment ici d’un grand groupe qui a eu les moyens de mettre en place une politique de Recherche et Développement dédiée à cette opération mais l’innovation frugale peut aussi être mise en place dans des petites structures et c’est justement pour cela qu’elle est intéressante.

  • Et pour les petites structures ?
Liter of Light, créé en 2011 par Illac Diaz avec My Shelter Foundation

Dans le cas de Liter of Light. Son fondateur est parti du besoin des habitants les plus pauvres : Pouvoir s’éclairer.

Il a remarqué que l’eau dans une bouteille réfléchissait la lumière du soleil.

A partir de là, il a créé des “ampoules” à partir de bouteilles d’eau qui sont installées directement sur les toits des maisons pour éclairer la pièce grâce à la réflexion de la lumière dans la bouteille.

Le concept est aujourd’hui amélioré grâce à un petit panneau solaire qui alimente une lampe LED. Désormais les habitants peuvent aussi s’éclairer de nuit.

Bien que ce genre d’innovation réponde aux attentes des personnes les plus pauvres elle nous montre une chose : En utilisant ce que l’on a sous la main, on peut être capable de créer des offres originales.

Cette philosophie peut s’utiliser dans beaucoup d’entreprises en se posant simplement la question :

  • Grâce à mon savoir-faire, comment puis-je répondre aux besoins de mes clients ?

En réfléchissant ainsi, l’entreprise s’affranchit en partie de la contrainte technologique. Il n’est plus nécessaire de sortir un produit complexe pour apporter une réponse aux besoins des clients. La solution peut être développée à moindres coûts et n’exige pas un bouleversement dans les habitudes de l’organisation.

Étant moins chère à produire, elle sera également moins chère à la vente ce qui est sera un argument auprès de vos clients car vous répondrez de manière simple à leurs attentes à un prix moins élevé que vos concurrents.

N’ayez pas peur d’épurer par crainte d’une baisse de votre chiffre d’affaires. Prenez l’exemple des banques en ligne qui ne proposent que les services de base d’une banque. Elles sont aujourd’hui bien installées dans le milieu grâce à la simplicité de leurs offres.

  • Pourquoi mettre en place une innovation frugale ?

L’innovation frugale repose sur les attentes des consommateurs. Le produit est pensé pour eux. L’utilisation de la technologie n’est pas une nécessité, au contraire, si la solution peut être résolue sans technologie cela lui permettra d’être moins chère et donc utilisée par un grand nombre de personnes.

On retrouve cette idée d’innovation frugale chez de nombreuses entreprises travaillant avec la méthodologie du Design Thinking et du Lean Startup. Celles-ci se concentrent sur les besoins des utilisateurs. Elles étudient leurs habitudes, leurs aspirations mais aussi les freins à l’utilisation d’un produit. Quand les besoins réels des utilisateurs sont bien cernés, une solution ,qui y répond de manière précise, peut être pensée.

Elles peuvent alors créer ce que l’on appelle un MVP à savoir “Minimum Viable Product” (Produit Minimum Viable). Ce MVP est pensé comme une version fonctionnelle mais améliorable d’un produit ou service fini. Il permet de tester rapidement la pertinence de sa proposition de valeur sur le marché à moindre coût.

Le lien avec l’innovation frugale ? Proposer un produit qui réponde le plus simplement au besoin avant de vouloir le complexifier.

  • Quid de la qualité ?

L’innovation frugale n’implique pas une baisse de la qualité. Elle suppose une épuration de tout ce qui est superflu. En faisant cela il est, au contraire, tout à fait possible d’améliorer la qualité de votre produit. Etant donné qu’il possède moins d’éléments, une attention particulière peut être accordée à la qualité de ceux-ci.

Pour résumer, comment définir rapidement une innovation frugale ?

  • Elle répond de la manière la plus simple possible au besoin de l’utilisateur
  • Elle utilise les ressources disponibles pour être créée
  • Qu’en est-il pour vous ?

De quoi ont besoins vos clients ? Qu’avez-vous remarqué comme habitudes de consommation ? Ce que vous leur proposez leur permet-il de répondre de la manière la plus simple à ce qu’ils cherchent ?

A vous de jouer !

Pour aller plus loin : Navi Radjou, Jaideep Prabhu, (2015) L’innovation frugale: Comment faire mieux avec moins

Je vous invite également à vous renseigner sur l’aventure martienne de l’Inde avec la sonde Mangalyaan. Elle a été développée grâce à cette méthode et n’a même pas coûté le prix d’un avion de ligne.

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Un nouveau modèle de management distribué : les organisations Opale

Nathan Fangnigbe, Business Developer, Moho

Notre manière de penser l’entreprise semble à bout de souffle. De plus en plus d’employés manquent de motivation et la quête de sens est devenu un réel enjeu pour attirer les talents. Cependant une solution semble se profiler : le management opale.

Qu’est-ce que le management opale ?

Cette méthode est née de plusieurs entrepreneurs ou salariés issus de parcours très différents (infirmier, industriel, ingénieur, etc..) ayant expérimenté de nouvelles formes de management dans l’entreprise. Ils en sont arrivés à la même conclusion : ce que l’on peut appeler le “management” opale.

Ce système se repose sur 3 piliers :

  • L’autogouvernance → passage d’une entreprise hyper hiérarchisée et bureaucratique à un système fluide et efficace d’autorité distribuée. Où l’intelligence collective est le moteur principal. On peut le comparer aux organes du corps où chacun d’entre eux à un rôle à jouer et l’addition de tous ses rôles permet le bon fonctionnement de la machine complexe que nous sommes.
  • La plénitude → Elle peut se traduire par l’acceptation de notre vraie nature au travail. Nous sommes libres d’être qui nous sommes. Dans les limites de la bienséance bien sûr !
  • L’évolution naturelle de l’entreprise → au lieu d’essayer de prévoir et maîtriser l’avenir avec des business plan tirés par les cheveux et des objectifs beaucoup trop haut ou trop bas. On écoute et comprend le présent de ses clients en faisant d’eux une partie intégrante du processus de création.

Un sentiment d’appartenance retrouvé.

Dans son livre Reinventing Organisations, Frédéric Laloux théorise cette forme de management. Pour cela, il n’a étudié que des entreprises allant de 100 à 40 000 employés. Mais cela ne veut pas dire que ce mode de fonctionnement ne peut pas se calquer sur de plus petites entreprises, bien au contraire. En favorisant l’échange d’idée, l’innovation est portée par tout le monde. Ceci favorise le sentiment d’appartenance et l’épanouissement de tous les employés même ceux qui ont un métier à faible valeur ajoutée car leur voix est aussi entendue.

En plus de favoriser l’inclusivité, ce modèle est reproductible dans de nombreux types d’activités : Aussi bien chez Buurtzorg une entreprise de soin à domicile qui représente 70% du marché Hollandais, que chez Morning Star une entreprise de conditionnement de tomate aux États-Unis qui détient 40% de la distribution du ketchup dans tout le pays.

Vous devez sûrement vous demander quelles sont les actions mises en place par ses organismes ou entreprises qui appliquent le management opale. Eh bien, par exemple chez Morning Star, les employés fixent leur propre salaire chaque année. Ceux-ci sont réévalués au minimum en fonction de l’inflation.  Libre à chacun de faire augmenter son salaire par la suite mais il faut le mériter. Cette augmentation salariale doit être validée par un comité des salaires qui est composé des employés de l’usine volontaires. Le calcul de l’augmentation est basé sur un bilan de compétences produit par le salarié lui-même. Il est ensuite comparé aux autres afin d’augmenter ou non le salaire. Cependant, le comité peut très bien décider de vous augmenter s’il vous a jugé trop humble par rapport à ce que vous avez produit cette année.

Mais ne comptez pas tricher sur votre bilan de compétences puisqu’il est inspecté par vos collègues avec qui vous travaillez tous les jours ;). La transparence des dépenses et salaires permet aussi d’éviter les dérives que pourrait entraîner ce genre de système. Car tout le monde a accès aux dépenses et salaire de chacun. Cela évite ainsi le commercial un peu trop gourmand qui décide de voyager en première classe et de séjourner dans un hôtel luxueux.

La mise en place d’emploi du temps personnalisé est également une autre pratique découlant du management “opale”. Chez Buurtzorg au Pays-Bas les infirmiers décident de leurs emplois du temps. Cela permet d’ajuster les visites au patient et ainsi leur offrir une meilleure qualité de service et d’accompagnement dans les tâches du quotidien. En effet, les infirmiers n’étant pas soumis à un emploi du temps régi à la minute, ils peuvent rester discuter avec la personne et ainsi la conseiller ou prévenir la famille de problème dont ils n’auraient pas parler d’eux-mêmes. Par effet domino, cela redonne confiance et autonomie aux patients plus âgés. Cela permet ainsi de faire économiser des millions d’euros à la sécurité sociale hollandaise (Buurtzorg gère 70% des soins aux Pays-Bas) et redonner le sourire à des milliers de personnes dépendantes.

Lancez-vous !

Malgré les différences notables sur les CV de ces entrepreneurs (infirmiers, ingénieurs, développeurs web, industrie textile ou encore équipementier automobile,…) ils sont tous animés par un même état d’esprit, celui d’améliorer le quotidien de leurs collaborateurs.  Mais n’ayez pas peur, si vous souhaitez sauter le pas il vous suffira d’appliquer ne serait-ce qu’un seul des piliers du management opale pour observer des transformations tangibles dans votre organisation ou entreprise.

Si vous souhaitez en savoir plus, n’hésitez pas à nous contacter.

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