Nathalie Gontard © Marc Ginot

Interview de la chercheuse Nathalie Gontard

Nathalie Gontard est directrice de recherche à INRAE (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement). Chercheuse mondialement reconnue, elle a contribué à la réglementation sur la sécurité sanitaire des emballages alimentaires et du recyclage des plastiques. Elle est l'autrice de "Plastique, le grand emballement" et interviendra en MoHoDebate le 31 mai prochain à Paris.

Dans le cadre de notre initiative « Deplastify The Planet », MoHo vous propose de découvrir le portrait des 100 personnes clés qui comptent dans la lutte contre la pollution plastique. Chercheur, lobbyiste, activiste, entrepreneur, journaliste, politique, nous vous proposons de les rencontrer et de lire leur vision du sujet et des solutions pour éradiquer la pollution plastique. #DeplastifyThePlanet

Tu fais quoi dans la vie ?

Je suis directrice de recherche à l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), après avoir été chercheuse associée au CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) et professeure à l’Université de Montpellier et de Kyoto. Je coordonne notamment des projets de recherche européens ou internationaux sur des alternatives plus écologiques aux emballages plastiques, et j’ai aussi participé aux réglementations françaises et européennes sur la sécurité sanitaire des emballages alimentaires et du recyclage des emballages plastiques.

Sommes-nous malades du plastique ?

Après la Seconde Guerre mondiale, la notion de progrès a été intimement liée aux produits issus du pétrole : l’énergie et le plastique, les “deux mamelles indissociables de notre progrès matériel” dont le monde industriel s’est emparé pour les démocratiser et soutenir le miracle de la croissance économique. Je ne vois plus aucun secteur industriel dont le plastique serait exclu. Le domaine du bois, pour fabriquer des meubles, est dominé par les plastiques “recyclés”, celui de la laine s’effondre sous le poids des fibres de polyester, etc.

Je ne vois plus aucun secteur industriel dont le plastique serait exclu. Le domaine du bois, pour fabriquer des meubles, est dominé par les plastiques “recyclés”, celui de la laine s’effondre sous le poids des fibres de polyester,

Le plastique fut donc le grand symbole de modernité des années 70. En 1972, le président Pompidou a fait “entrer la modernité à l’Elysée”, ce sont ses termes, en remplaçant le mobilier de l’Elysée par du mobilier en plastique de Pierre Paulin, un célèbre designer. Et c’est toujours le cas malheureusement : quand on parle de transition, qu’elle soit numérique, énergétique, agroécologique, toutes ces nouvelles technologies utilisent massivement du plastique. Notre concombre bio l’est parce qu’il a poussé sous une serre et sur des films de paillage en plastique, puis transporté sous plastique pour éviter les contaminations. La dématérialisation se matérialise sous la forme de nos ordinateurs, avec beaucoup de matériaux plastiques. Le progrès est toujours signé avec une consommation de biens matériels, pour l’infini majorité, en plastique.

Résultat, nous avons accumulé un réservoir de déchets plastiques qui continue de grossir et de se dégrader en micro et nanoparticules que l’on retrouve aujourd’hui absolument partout, jusque dans l’Antarctique… et nos corps. Partout où on en cherche, on en trouve. Aujourd’hui, nous en consommons au moins l’équivalent de notre poids corporel par personne et par an. Nous sommes drogués au plastique, au gain de temps, à l’achat de biens matériels, qui sont comme des doudous, des objets transitionnels qui nous réconfortent dans les moments de stress, et qui sont accessibles grâce au faible coût du plastique.

Et la machine continue de s’emballer : le plastique a créé de nouveaux besoins comme la fast-fashion nourrie de fibres synthétiques, la fast-food à emporter sous emballage plastique, la course à l’hygiène post-Covid avec des objets toujours plus jetables, etc.

3 chiffres à avoir en tête ?

Le Terrien contemporain utilise en moyenne l’équivalent en plastique de son propre poids chaque année, soit environ 68 kilos par an.

S’il est né dans l’hémisphère nord, il est même infiniment plus gourmand. Dans les pays les plus riches comme les Etats-Unis, l’Allemagne, la France, la Belgique ou l’Italie, chaque habitant consomme à lui seul plus de 100 kilos de plastique à l’année (l’équivalent d’environ 3 000 bouteilles d’eau). Le Terrien résidant en Éthiopie, en Tanzanie, au Yémen ou en Libye en utilise vingt fois moins, soit moins de 5 kilos par an.

Ramené à une vie humaine, le bilan est vertigineux : il naît 2,7 enfants par seconde dans le monde. La production de 4 tonnes de plastique accompagne chacune de ces naissances en moyenne.

Qu’est-ce qui ferait vraiment bouger les lignes ?

Il est assez facile de commencer par reconnaître que la plupart des plastiques que nous consommons ne servent plus notre bien-être. Ils encombrent notre vie, nos maisons, nos poubelles, notre environnement et nos corps. Alors qu’ils étaient censés nous faire gagner du bien-être, aujourd’hui on en perd. Le plastique nous met en danger. Il faudrait donc commencer par se demander : quels sont les plastiques dont nous pouvons nous passer. Les gouvernements nous proposent des solutions clé en main, de type recyclage, mais personne ne parle réduction de la consommation et élimination des plastiques inutiles. Chaque secteur industriel doit se poser cette question. Il s’agit d’un chantier titanesque que l’on ne peut pas mettre sur le dos du consommateur. Le plus souvent, il n’est même pas informé que ce qu’il achète en contient, ce qui plaide en faveur de la transparence et du devoir d’information du citoyen par nos pouvoirs publics. Tous les biens de consommation contenant du plastique devraient être clairement et bien visiblement étiquetés. Ça va aussi nécessiter que nos gouvernements s’indépendantisent vis-à-vis des intérêts économiques et des lobbies industriels.

Nous ne sommes actuellement pas capables de quantifier le nombre de morts qu’il y aura à cause du plastique, comme celui d’ailleurs qu’il y aura à cause du changement climatique, car ce sont des phénomènes complexes. Alors, on a tendance à ne pas regarder le problème et à rester dans le déni, alors qu’il faut prendre les mesures qui s’imposent pour s’écarter de ce risque, car là, on y va d’un pas décidé.

On a tendance à ne pas regarder le problème et à rester dans le déni, alors qu’il faut prendre les mesures qui s’imposent pour s’écarter de ce risque, car là, on y va d’un pas décidé.

Nous avons déjà inondé notre planète d’une quantité pharaonique de plastiques que nous sommes bien incapables de récupérer, ce qui signifie que nous allons les retrouver dispersés partout sous la forme de micro et nanoparticules. On peut toujours envoyer des navires pour ramasser les gros déchets, mettre des filtres à la sortie des machines à laver, mais quel sens peut-on donner au ramassage à la petite cuillère d’une pollution monstrueuse, alors que nous n’avons même pas commencé à fermer les robinets qui la déversent en tombereaux ? Ne serait-il pas plus simple de moins produire ces déchets ?

Comment agis-tu dans ta vie au quotidien ?

J’essaie de choisir au maximum des produits sans plastique et de cultiver d’autres formes de plaisir et de bien-être que d’acheter des biens matériels. Je concentre mes efforts là-dessus et en évitant aussi d’acheter des objets en plastique recyclé car le plus souvent, il s’agit de plastiques “décyclés”. Le décyclage, contrairement au recyclage qui permet de reproduire un objet aux propriétés identiques, transforme un déchet ou objet inutile en un produit de qualité ou d’utilité moindre, en raison de la dégradation du plastique et de ses qualités au fur et à mesure de son cycle de vie. Ainsi, une chaise en plastique décyclée ne peut pas redevenir une chaise en plastique, mais uniquement des cintres ou des pots de fleurs.

Je préfère utiliser des récipients en verre car sinon, je sais que je ne contribue pas à réduire mon empreinte plastique. J’essaie de ne pas disperser mes efforts sur des solutions qui n’en sont pas. Il faut beaucoup de temps pour changer ses habitudes, alors quitte à prendre un virage, autant le prendre vers le bon cap, celui qui nous permettra de faire la différence sur le long terme.

Le premier objet du quotidien en plastique dont on peut se débarrasser ?

N’achetez plus de vêtements en poly…quelque chose, qu’il soit recyclé ou pas. Cherchez le coton, la laine, le chanvre, bref… cherchez les fibres biodégradables.

Le problème des vêtements en polyester recyclé est qu’on a cherché de nouveaux débouchés pour nos déchets plastiques, et l’un de ces débouchés, ce sont les vêtements, avec une image écologique injustifiée. Porter un vêtement en polyester recyclé ne fait pas du tout disparaître la pollution, le déchet continue de se diffuser dans l’environnement, d’abord dans la machine à laver puis dans la décharge où le vêtement finira après 2 à 3 années en moyenne de bons et loyaux services.

Un peu d’espoir ?

Beaucoup d’espoir ! Car la solution est simple : réduire notre consommation de plastique devenue plus qu’excessive, et se passer des plastiques inutiles qui utilisent une grande partie de notre temps pour les produire, les acheter, les utiliser puis gérer leurs déchets, sans réelle contrepartie en termes de bien-être.

Le plastique biodégradable, à court terme, bien sûr que ça existe et c’est très bien que nous fassions des recherches à ce propos. Je travaille dessus avec mon équipe, mais ce sont des matériaux qui ne peuvent pas être produits à très grande échelle et résoudre significativement les problèmes dans un temps court. La portée de toutes les innovations actuellement en gestation, comme les plastiques biodégradables, le recyclage des monomères, la pyrolyse, etc., est bien trop limitée. Même mises bout à bout, ces solutions techniques ne feront disparaître qu’une infime partie des déchets que nous produisons. Le recyclage chimique qui ne coûte rien et permet de reconstituer des plastiques à l’identique, j’espère qu’on y arrivera, mais pour être honnête, je ne pense pas qu’on pourra sauver le monde avec dans les années à venir.

Le plastique biodégradable, à court terme, bien sûr que ça existe […] mais ce sont des matériaux qui ne peuvent pas être produits à très grande échelle et résoudre significativement les problèmes dans un temps court.

Un message pour les décideurs ?

Faites preuve de courage et de lucidité, en plaçant la réduction de notre consommation de plastique dans les mesures prioritaires, bien avant le recyclage. Informez, sensibilisez ! Sur la dangerosité du plastique et les gestes simples qui permettent d’en limiter les dégâts, comme vous l’avez fait pour les méfaits du tabac, de l’alcool, les bienfaits des fruits et légumes ou de l’activité physique, ou encore plus récemment pour les antibiotiques : « les plastiques sont précieux mais dangereux, utilisons les moins et mieux ». Comme les antibiotiques, les plastiques sont utiles en petite quantité. Sans restriction ils deviennent dangereux et contre-productifs.

Et pour la jeunesse ?

Osez vous libérer de l’addiction de vos parents au progrès matériel et de l’obsession à gagner du temps. C’est en lâchant cette ligne de vie des trente glorieuses que vous pourrez enfin vous autoriser à naviguer vers de nouveaux horizons où le progrès se pensera autrement, en mobilisant des ressorts intérieurs encore peu explorés.

Osez vous libérer de l’addiction de vos parents au progrès matériel et de l’obsession à gagner du temps.

Une info surprenante à nous partager ?

Savez-vous ce que signifie plasticulture ?

a/ Une technique qui permet de baisser les coûts de production en agriculture, notamment biologique, grâce à l’utilisation du plastique.

b/ Une méthode qui consiste à produire des plastiques à partir des ressources agricoles.

c/ Un mouvement artistique visant à créer des œuvres à partir de déchets plastiques.

(réponse à la fin de cette interview)

Ton panthéon des incontournables du plastique ?

Je n’en ai pas vraiment (encore) malheureusement…

Comment je peux en savoir plus ?

Un ouvrage – Plastique, le grand emballement de Nathalie Gontard et Hélène Seingier (éd. Stock, 2020). Fruit de trente ans de travail et de réflexion, cet ouvrage fournit à chacun les connaissances essentielles sur un matériau complexe, pour faire des choix éclairés.

Une interview – Mon audition par le Conseil Économique Social et Environnemental (CESE) dans le cadre de la saisine « Vers un traité international sur la pollution par les déchets plastiques : enjeux, options, positions de négociations ».

Un court métrage –Le chant du Styrène (1958) d’Alain Resnais à partir du poème scientifique homonyme de Raymond Queneau (1957)

Un spectacle – Plastique, le grand emballement, une “conférence dérapante” sur les plastiques par Nathalie Gontard, Jade Duviquet et Cyril Casmeze de la compagnie du Singe Debout, pour écrire ensemble les prochains chapitres de l’histoire de cette matière séduisante, addictive et envahissante. A découvrir le 11 avril au Théâtre de la Reine Blanche, à Paris.

Un article scientifique : Recognizing the long-term impacts of plastic particles for preventing distortion in decision-making, 2022. Gontard N., David, G., Guilbert A., Sohn J.,Nature Sustainability

Une initiative artistique : How I made plastic pollution more shareable with a Mermaid and 10000 plastic bottles 

En 2050, ce sera comment ?

2050 sera…. avec beaucoup moins de plastique et d’objets à moteur. Les objets en plastique seront devenus plus rares, mais aussi plus chers. L’accumulation de biens matériels sera combattue comme toute autre forme d’addiction destructrice.

* Et sinon, la bonne réponse à la question 6 est “a” ! La plasticulture est un ensemble de techniques agricoles utilisant le plastique (filets, serres, etc.) pour réduire les coûts et augmenter la production. Ainsi nos légumes sont peut-être bios… mais aussi pleins de plastiques.

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