Interview de l’entrepreneur Marius Hamelot

Co-fondateur de l’entreprise de recyclage Le Pavé, Marius Hamelot produit de nouveaux matériaux à partir de nos déchets plastiques. Il appelle à réinventer l’industrie pour la rendre plus circulaire et résiliente.

Dans le cadre de notre initiative « Deplastify The Planet », MoHo vous propose de découvrir le portrait des 100 personnes clés qui comptent dans la lutte contre la pollution plastique. Chercheur, lobbyiste, activiste, entrepreneur, journaliste, politique, nous vous proposons de les rencontrer et de lire leur vision du sujet et des solutions pour éradiquer la pollution plastique. #DeplastifyThePlanet

Tu fais quoi dans la vie ?

Je suis l’un des deux cofondateurs de la société Le Pavé, architecte de formation. Le Pavé est une start-up industrielle spécialisée dans le développement et la production de matériaux durables pour le secteur du bâtiment, lancée en 2018. Depuis, nous avons développé nos deux premiers matériaux fabriqués à partir de déchets plastiques qui se présentent sous forme de panneaux utilisés pour de l’agencement intérieur, du mobilier, des objets, etc. La différence entre ces matériaux est leur source, c’est-à-dire la matière qu’on va utiliser. L’un est fabriqué à partir de bouteilles de shampoing et de bouchons recyclés, avec les mêmes propriétés : flexible, résistant aux tâches et aux agents chimiques, etc. Ça en fait un très bon revêtement de mur ou un matériau pour de l’usinage. Le second est fabriqué à partir de portes de frigo, de polystyrène, de cintres, un plastique beaucoup plus rigide, plus structurel, qui peut être verni ou collé. Donc pour chaque matière, son matériau et ses applications, ainsi nous n’altérons pas les qualités du polymère. Notre enjeu est de recycler à 100% mais aussi de proposer des matériaux 100% recyclables, donc nous n’ajoutons pas de résines. Si nos plans de travail fabriqués à partir de bouteilles de shampoing doivent redevenir des bouteilles dans 30 ans, c’est possible.

Sommes-nous des malades du plastique ?

Nous sommes malades de toutes les matières : le déchet plastique est un peu l’archétype du déchet car on en produit en quantités faramineuses et ça continue d’augmenter de façon assez effrayante, donc c’est pour ça que nous nous attaquons à lui en priorité. Mais ce qui est vrai pour le plastique l’est pour le ciment, le métal, le verre, le lithium, etc. Nous sommes surtout malades de la consommation. Le plastique est un symbole, mais le problème est à tous les niveaux.

3 chiffres à avoir en tête ?

Quand nous avons démarré en 2018, 311 millions de tonnes de plastique étaient produites chaque année à l’échelle mondiale. Cinq ans plus tard, il y en a 450 millions. Notre production augmente, la quantité totale a augmenté, mais le ratio de recyclage n’a pas bougé et c’est ce qui fait peur. J’ajouterais aussi ce chiffre de 7 milliards de tonnes de plastique déjà présentes dans la nature. Une tonne pour chaque être humain sur cette planète.

Qu’est-ce qui ferait vraiment bouger les lignes ?

Ce qui est complexe avec la notion de déchet, c’est qu’un seul facteur ne peut pas changer le monde du jour au lendemain. Il faut intervenir à tous les niveaux, que tout le monde se bouge, que des start-ups se créent, que les industriels changent, que l’on revoit la manière dont on conçoit les produits, qu’on simplifie le nombre de résines présentes sur le marché, etc. C’est vraiment l’engagement collectif qui va permettre de faire bouger les choses. Si on attend une solution miracle, on peut attendre longtemps.

Par exemple, réduire le nombre de polymères pour supprimer les moins recyclables ou les plus dangereux est une des thématiques abordées dans les négociations de l’ONU contre la pollution plastique (voir l’interview de Tim Grabiel, lobbyiste auprès de l’ONU). L’Union Européenne voudrait qu’on arrête de produire une multitude de résines plastiques, sachant par exemple que plus d’un tiers des polymères sont dans la catégorie “autres”.

C’est le petit chiffre “7” que vous pouvez retrouver sur certains objets en plastique [les plastiques comportent obligatoirement un numéro compris entre 1 et 7 indiquant quel type de polymère il s’agit. Le n°7 regroupe tous les plastiques inclassables et les mélanges, et qui ne font pas partie des six principaux plastiques tels que le polystyrène, le PVC, etc., NDLR]. Ceux-là sont plus difficiles à recycler, donc c’est un levier important parmi d’autres.

Comment agis-tu dans ta vie au quotidien ?

On essaye de mettre notre engagement personnel au sein d’un projet entrepreneurial et chaque jour, quand on se lève, on se pose la même question, « comment diminuer la quantité de plastiques jetés ou brûlés ? ». On travaille avec des recycleurs, des collectivités, des éco-organismes. On va inventer des nouveaux procédés industriels de fabrication, comme un brevet qu’on a déposé de thermocompression pour garder la matière recyclable. Et puis on va travailler au contact des clients et des marques pour les sensibiliser, leur montrer que nos matériaux peuvent être recyclés, performants. C’est comme ça qu’on agit, avec Jim, mon associé, et tous les membres de l’équipe. Et chacun dans notre domaine d’expertise, on essaie de faire bouger les choses autour d’un projet commun, diminuer le nombre de plastiques qui se retrouvent dans la nature et les océans. Le premier objet du quotidien en plastique dont on peut se débarrasser ? La bouteille d’eau est peut-être le plus simple. Il suffit d’une gourde. Et il y a plein de
gourdes sympa en plus ! Je ne dirais pas que c’est le geste “nécessaire” car finalement on retrouve du plastique partout, tout le temps. Mais au moins, ça permet d’y penser chaque fois qu’on boit une gorgée.

Un peu d’espoir ?

Nous sommes profondément optimistes et persuadés que le travail qu’on fait n’est pas vain. Depuis 2018, je n’ai jamais rencontré un acteur, une personne avec laquelle j’ai échangé, qui n’a pas été touchée par ce qu’on essaye de faire et qui ne s’intéresse pas à la problématique environnementale, des déchets plastiques mais pas que. Et c’est encore plus le cas maintenant alors que tous les secteurs, que ce soit au niveau des recycleurs, des collectivités, des utilisateurs, ou des industriels, cherchent à aller dans le sens du recyclage et du développement durable. Parce que nous sommes conscients de ne pas avoir le choix. Donc nous sommes ultra positifs. Le challenge est énorme mais il faut le relever et pour ça mettre un maximum d’énergie et d’intelligence collective. C’est en collaborant, en se mettant tous autour de la table, PME comme multinationales, qu’on va y arriver.

Un message pour les décideurs ?

Il y a des leviers à activer pour aller plus vite, comme des fiscalités avantageuses pour les matériaux circulaires ou durables avec une très forte dimension d’éco-conception. Ça pourrait permettre de peser dans la balance décisionnelle via le facteur écologique et environnemental et non plus uniquement le facteur coût. Il faut repenser l’industrie, la réinventer, considérer les ressources environnementales et l’impact social. Sauf que ça coûte de l’argent, ça prend du temps, et cela nous amène à être un peu plus cher que des solutions existantes. Une fiscalité avantageuse pourrait aider, mais on ne va pas attendre que les choses bougent pour faire bouger les choses. Donc on travaille à mettre en place des nouvelles usines pour réduire nos coûts de production, proposer des matériaux plus accessibles, plus compétitifs.

Nous avons une usine pilote à Aubervilliers, et nous en ouvrons une deuxième, quatre fois plus grande, à Allériot, en Bourgogne-Franche-Comté. Nous voulons nous déployer partout en France puis dans le monde pour être présent dans chaque grande région, au plus près des consommateurs. C’est aussi extrêmement important pour nous : au-delà de la nécessité de transformer des tonnes de plastiques, c’est un enjeu de sensibilisation et de connexion au territoire, aux utilisateurs, pour retrouver du sens autour de l’industrie et des objets que nous consommons.

Et pour la jeunesse ?

Je ne sais même pas si je suis encore jeune ou pas (rires). Mais je dirais : essayons ! N’ayons pas peur d’essayer de changer les choses et dans le meilleur des cas, ça marche. Il faut aussi parler, qu’on essaie au maximum d’être transparents sur notre intervention et nos objectifs. C’est en partageant, en collaborant qu’on ouvre des possibilités et que des choses qu’on n’imaginait pas possibles le deviennent. Si, il y a 5 ans, on nous avait dit qu’on allait ouvrir prochainement une usine d’une capacité de transformation de 1000 tonnes, je n’y aurais pas cru. Et aujourd’hui, on prépare déjà l’ouverture des quatre prochaines ! Ça, c’est grâce au travail de l’équipe, mais aussi celui des partenaires, des financeurs qui qui ont cru au projet parce qu’on a communiqué, on en a parlé. Donc ne restez pas dans votre chambre ou votre cercle proche, allez faire bouger les lignes.

Une info surprenante à nous partager ?

Une information qui m’avait choqué, c’est qu’on mange l’équivalent d’une carte bleue de
plastique chaque semaine. Ce n’est pas très drôle, mais c’est parlant.

Comment je peux en savoir plus ?

Il y a des rapports ultra intéressants sur le plastique du Sénat [“Pollution plastique, une bombe à retardement ?”] et de l’Ademe, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie [“Plastiques : mieux comprendre le recyclage des emballages” ou encore “Connaître et comprendre l’impact des microplastiques dans les milieux”], disponibles en téléchargement libre et gratuit. Ce sont des vraies sources d’information pour rentrer dans le cœur de la problématique. Ensuite, il ne faut pas hésiter à croiser les sources, des éco-organismes, des industriels, etc. Dans ce monde du recyclage et des déchets, tout dépend d’un contexte parfois dur à appréhender et qui bouge extrêmement vite. Une vérité il y a un an n’est plus forcément celle d’aujourd’hui.

Ton panthéon des personnalités incontournables du plastique ?`

Au-delà d’une personnalité, on peut citer le travail d’associations comme Zero Waste ou Surfrider. Certaines entreprises, également tout aussi inspirantes, se sont créées et spécialisées sur cette thématique, comme Circul’R, un cabinet de conseil en économie circulaire qui travaille avec une multitude d’acteurs, des transformateurs, des grands industriels et autres. Entreprises, organisations, ONG : toutes permettent d’intervenir à une échelle différente pour lutter contre la pollution plastique. Je peux également citer des entreprises du monde du déchet, qui ont cette démarche de sensibilisation, comme Lemon Tri [qui développe des machines de tri intelligentes et incitatives pour optimiser la collecte et le traitement des emballages, NDLR] et qui sont aussi super inspirantes.

En 2050, ce sera comment ?

L’un de nos objectifs est de réinventer de nouvelles formes d’industrie, beaucoup plus modulaires et résilientes à l’échelle des territoires. Donc on espère qu’en 2050, nous aurons réussi à nous déployer, nous mais aussi l’ensemble du secteur. Nous aurons peut-être inventé un nouveau modèle productif beaucoup plus adapté aux ressources disponibles. L’économie sera, je l’espère, réalisée avec des productions décentralisées mais connectées les unes aux autres. “Think global, act local” : je pense qu’il faut vraiment aller vers ça et le retranscrire d’un point de vue industriel, ce qui peut arriver effectivement d’ici quelques années où décennies.

Considérer les autres et essayer de faire sa part au quotidien autour de soi.

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