Simon Bernard

Interview de l’entrepreneur Simon Bernard

Président de Plastic Odyssey, un navire-laboratoire destiné à accompagner la création de micro-usines de recyclage à chaque escale et sensibiliser à la problématique du plastique.

Dans le cadre de notre initiative « Deplastify The Planet », MoHo vous propose de découvrir le portrait des 100 personnes clés qui comptent dans la lutte contre la pollution plastique. Chercheur, lobbyiste, activiste, entrepreneur, journaliste, politique, nous vous proposons de les rencontrer et de lire leur vision du sujet et des solutions pour éradiquer la pollution plastique. #DeplastifyThePlanet

Tu fais quoi dans la vie ?

Je suis président et cofondateur de Plastic Odyssey, une expédition en bateau autour du monde pour lutter contre la pollution plastique. Le but est de travailler avec des entrepreneurs locaux pour mettre en place des systèmes de recyclage des plastiques et transformer leurs déchets pour en faire des objets utiles comme des canalisations, des tuiles, des pavés, etc. Donc, au final, créer des économies locales de recyclage dans des zones qui croulent sous les déchets. 

Pour cela, on propose de construire des usines semi-industrielles fabriquées dans des containers. Elles sont destinées aux professionnels du recyclage et permettent de traiter 100 tonnes de déchets par an et par micro-usine. Nous avons un exemplaire de toutes les machines nécessaires à bord du bateau, qui nous permettent de former, convaincre, et continuer à faire de la R & D.

En parallèle, nous travaillons aussi sur la réduction du plastique, autre axe essentiel. Nous cherchons des alternatives dans tous les pays d’escale et travaillons avec des enfants, plus de 2 000 accompagnés par 500 enseignants depuis le début de l’expédition, qui s’engagent et suivent un programme pédagogique pour faire changer les comportements et consommer mieux et différemment.

Sommes-nous des malades du plastique ?

On ne sait plus faire sans aujourd’hui : se nourrir, s’habiller, se soigner… Et c’est ça le problème, c’est un matériau qui a tellement intégré notre vie qu’on en est devenus dépendants. Or, il a un impact sur la biodiversité, et à la fin sur notre santé car il intègre la chaîne alimentaire et on le retrouve partout, le cerveau, le sang, l’eau, la bière… On commence à voir les premières maladies liées directement au plastique, notamment chez les oiseaux avec le plasticosis. On a peu de recul pour le moment, peu d’études sur le long terme, il est difficile de savoir ce qui nous attend, mais on peut facilement imaginer que ce ne sera pas incroyable d’ici quelques années pour l’humain.

Le plastique a un impact sur la biodiversité, et à la fin sur notre santé car il intègre la chaîne alimentaire et on le retrouve partout, le cerveau, le sang, l’eau, la bière…

3 chiffres à avoir en tête ?

On peut parler de la quantité de plastique déversée dans l’océan, soit 20 tonnes par minute, via les villes côtières en grande majorité et un peu via les rivières.

Il y a aussi ces chiffres intéressants : l’humanité a produit 6 milliards de tonnes de déchets plastiques depuis les années 50, et il nous en reste un héritage de 5 milliards de tonnes à gérer. En effet, on en a traité à peine 1 milliard, c’est-à-dire recyclé en partie, mais aussi brûlé et enfoui. Les déchets plastiques recyclés jusqu’à aujourd’hui, c’est seulement 9 % de la production.

Les déchets plastiques recyclés jusqu’à aujourd’hui, c’est seulement 9 % de la production

Qu’est-ce qui ferait vraiment bouger les lignes ?

Agir à tous les nouveaux. C’est ça qui est compliqué, il n’y a pas une solution miracle. On dit souvent “ce sont les politiques qui doivent changer”, ou les industriels, ou le consommateur, et au final c’est le triangle de l’inaction, chacun remet la faute sur l’autre. Non, tout le monde doit agir, les industriels doivent trouver des solutions alternatives et investir dans la recherche, les politiques doivent interdire certains types de plastique, etc.

Comment agis-tu dans ta vie au quotidien ?

En mer, le quotidien est un gros challenge car le bateau doit aussi être un démonstrateur de la réduction de l’utilisation de plastique. Donc la vie à bord se fait sans, on teste des solutions. Dans la salle de bain, c’est assez facile. Mais par exemple, il n’y a souvent pas d’eau potable dans les pays où l’on va. Il a donc fallu mettre en place un système de potabilisation de l’eau pour boire à la fontaine et non à la bouteille. Ensuite, quand on va s’approvisionner, il faut faire les courses pour 20 personnes, trouver à acheter en vrac, ce n’est pas toujours évident. Une fois, nous avons dû trouver du café vert qu’on a dû torréfier nous-même, car on ne trouvait pas de quantités suffisantes de café moulu pour l’équipage qui ne soient pas emballées dans du plastique.

A la maison, ce sont des solutions un peu différentes, plus simples, car nous n’avons pas les mêmes contraintes que la vie en collectivité. Mais dans le milieu professionnel, on ne peut pas faire ce qu’on veut, on doit être encore plus ingénieux, par exemple pour conserver les aliments sans cellophane, ce qui se fait normalement dans toutes les cuisines professionnelles. Mais on y arrive.

Le premier objet du quotidien en plastique dont on peut se débarrasser ?

En France, c’est la bouteille d’eau. C’est quand même facile d’acheter une gourde et de penser à la prendre avec soi, et ça ne prend pas plus de place qu’une bouteille. Sur le Plastic Odyssey, nous avons mis en place un système de filtration et de potabilisation de l’eau : avec ça, nous avons économisé 3 000 bouteilles d’eau depuis le début de l’expédition, en 6 mois.

bouteilles d'eau en plastique
© Jonathan Chng

Un peu d’espoir ?

Ce qui me donne espoir, c’est rencontrer tous ces entrepreneurs à chaque escale et qui ne nous ont pas attendu pour commencer à se bouger, à recycler, à trouver des alternatives. Ils mettent déjà en place des solutions sur le terrain, y compris et peut-être encore plus, dans les pays les plus pauvres. Nous étions récemment au Liban, un pays très touché par la crise économique et la guerre, et on n’avait jamais vu autant d’entrepreneurs motivés pour faire des choses, alors qu’on pourrait se dire qu’il n’y a plus rien à perdre, d’autres priorités, etc. Mais non. L’espoir est dans le fait de voir tout ça comme une chance, pas un problème : la chance de créer des solutions, des matériaux utiles, des emplois, bref, résoudre des problèmes avec les déchets.

Un message pour les décideurs ?

Je vais revenir sur le concept de triangle de l’inaction, où chacun remet la faute sur l’autre. Donc non, il faut que nos décideurs, politiques ou économiques, prennent conscience de ça. Arrêtez de demander aux autres d’agir à votre place, c’est aussi à vous de casser ce triangle.

Et pour la jeunesse ?

Il est important de prendre conscience que les voies qui s’ouvrent à nous sont nouvelles. Elles n’ont pas été défrichées, il faut oser sortir des sentiers battus et explorer, on ne peut pas calquer ce qui a été fait jusqu’alors car on a vu que ça ne marche pas. Or, nous sommes confrontés à des gens qui nous disent “mais non, ça ne marche pas comme ça, nous, ça fait 30 ans qu’on fait plutôt comme ça”. Eh bien non, il faut trouver de nouvelles manières de faire et ne pas avoir peur. C’est ce qui nous anime, tester, faire de l’open source quand tout le monde parle de brevets, décentraliser quand tout le monde parle de centraliser, etc. Il faut suivre son instinct, ne pas avoir peur d’essayer, de se tromper, même d’échouer, ça ne pourra pas être pire que ne rien faire.

Il faut suivre son instinct, ne pas avoir peur d’essayer, de se tromper, même d’échouer, ça ne pourra pas être pire que ne rien faire

Une info surprenante à nous partager ?

Il existe un phénomène que les scientifiques appellent le “mystère plastique” : on sait qu’on a mis beaucoup de plastiques dans l’océan, on continue à le faire, mais on ne sait pas où il est. Quand on le cherche à la surface, on ne le trouve pas, ou alors en faible quantité. Car, on peut parler de “7e continent”, mais la réalité est que si on ramasse la totalité de ce “continent de déchets”, ça ne représente que ce qui est déversé en deux jours dans l’océan.

Une des hypothèses estime que la plus grande partie s’est ré-échouée sur les côtes (44 %), captée par la végétation. Le reste a coulé (35 %) ou s’est transformé en microparticules (21 %). Mais des scientifiques, comme François Galgani, océanographe au CNRS, privilégient une autre piste, basée cette fois sur des mesures et non sur des modèles mathématiques comme la précédente : le plastique “manquant” ne se serait pas sur les côtes mais aurait majoritairement coulé au fond de l’eau où il se dégrade lentement. Ainsi, seul 0,6 % du plastique déversé dans l’océan flotterait à sa surface !

© Naja Bertolt Jensen

Ton panthéon des incontournables du plastique ?

Le designer industriel Dave Hakkens, de Precious Plastic, a monté un réseau de recycleurs en mettant à disposition des logiciels open source pour que chacun puisse agir et recycler du plastique. C’est à une petite échelle et ça reste plutôt de la sensibilisation, mais l’approche communautaire et open source qu’il porte nous a beaucoup inspirés dans ce qu’on fait aujourd’hui.

Il y a aussi Jenna Jambeck. Elle est un peu LA scientifique référente sur la pollution plastique. Quand on parle des quantités astronomiques de plastique qui arrivent dans l’océan, toutes les données sont basées sur ses travaux. Elle est l’une des chercheuses qui nous donnent les chiffres mais nous disent aussi comment agir.

Comment je peux en savoir plus ?

On peut suivre l’expédition sur tous les réseaux, notamment sur notre compte Instagram, et nous avons une web-série qui vient de commencer (chaque épisode est une escale, et la première est à Dakar), avec un épisode diffusé chaque mois par Canal+ via sa collection Les Eclaireurs. Un livre et un documentaire télé sont aussi en préparation, vous pouvez nous suivre sur Twitter pour être tenus informés.

Enfin, pour avoir plus d’infos, nous avons créé un dossier sur toutes les fakes news de la pollution plastique, du genre “on peut nettoyer l’océan en collectant les déchets qui flottent” ou “90 % de la pollution provient de 10 rivières”. On éclaircit tout ça en donnant toutes les vraies sources scientifiques pour y voir plus clair.

En 2050, ce sera comment ?

Le scénario très optimiste, c’est qu’on arrive au moins à stabiliser la production de plastiques, voire la réduire un peu… mais stabiliser est déjà très optimiste. Et donc, dans nos vies d’Européens, voir beaucoup moins de plastique, beaucoup moins d’emballage à usage unique, voire plus d’emballages du tout avec le retour à la consigne et à la réutilisation et, bien sûr, moins de déchets dans les rues.

Nous ne sommes pas du tout sur la pente décroissante de la pollution. Même si on a l’impression qu’en ce moment, tout le monde en parle et agit, on observe l’inverse dans les chiffres.

Le pessimiste, c’est que les efforts qu’on aura entrepris ne seront pas suffisants pour contrer la production exponentielle de plastique, et qu’on se retrouve au bout du compte à avoir la même pollution, voire pire. Si on regarde de manière cartésienne les dernières études, c’est bluffant : si on continue sur notre lancée, les scénarios qui partent de 10 millions de tonnes de plastique dans l’océan aujourd’hui montent à 60 millions de tonnes en 2050. Et les scénarios “optimistes” sont autour de 30 millions. Donc ça va déjà être difficile de se stabiliser même si on couple tous les efforts, réduction, nettoyage et recyclage. Nous ne sommes pas du tout sur la pente décroissante de la pollution. Même si on a l’impression qu’en ce moment, tout le monde en parle et agit, on observe l’inverse dans les chiffres.

Retrouvez également le MoHoTalk avec Simon Bernard

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