En France comme ailleurs, l’habitat est devenu un enjeu majeur de transition. Entre crise du logement, envolée des prix de l’immobilier et facture énergétique toujours plus lourde, nos maisons et appartements sont à la fois nos lieux de vie et des sources de contraintes économiques et écologiques.
L’énergie utilisée pour faire fonctionner nos bâtiments représente près de la moitié de la consommation totale d’énergie en France, dont les deux tiers pour le secteur résidentiel (ADEME, juin 2025). À l’échelle mondiale, les bâtiments contribuent à environ 40 % des émissions de CO₂ liées à l’énergie, construction comprise (Rapport sur la situation mondiale des bâtiments et de la construction en 2020, ONU, 2021).
Dans ce contexte, la sobriété ne se limite pas à moins chauffer les habitations : elle invite à repenser la manière dont nous habitons, partageons l’espace et organisons nos logements, pour concilier confort, liberté et impact environnemental réduit.
Habitats légers : repenser le logement face aux défis actuels
Les tiny houses, yourtes ou maisons containers connaissent un engouement croissant, notamment chez les jeunes générations confrontées à l’inaccessibilité du logement. La vente de tiny houses connait une hausse importante en France, en partie parce qu’elles répondent à une double contrainte en étant moins chères qu’une maison traditionnelle, et plus sobres. Généralement construites en bois, isolées selon les normes récentes (RE2020), elles consomment très peu d’énergie et limitent drastiquement l’empreinte carbone.

Des associations comme Hameaux Légers militent pour que les habitats légers soient reconnus dans les PLU (Plans Locaux d’Urbanisme), afin qu’elles puissent s’implanter légalement et collectivement.
L’habitat léger ne se résume pas à un objectif minimaliste. Derrière, il y a une philosophie d’autonomie : moins de mètres carrés donc moins d’objets, un habitat mobile ou démontable donc plus de liberté.
Le Hameau Léger du Placis en Bretagne repose sur des habitats réversibles, modulables et construits avec des matériaux à faible impact. Une autre particularité réside dans le fait que le terrain et le logement sont séparés, ce qui permet d’accéder à un logement à moindre coût sans avoir à acheter le terrain. Au-delà de la question économique, le hameau promeut une vision collective de l’habitat : mutualisation d’espaces et services, ancrage dans le territoire, et partage de valeurs. Habiter dans ce type de logement ne se résume pas à une réduction de la surface habitable, mais à une autre façon de vivre, plus légère, plus libre et plus responsable.
Construire sobrement : matériaux biosourcés et low-tech
Depuis quelques années, des architectes et collectifs ont exploré des façons de construire plus économes en énergie et en ressources, en privilégiant des matériaux locaux et biosourcés (bois, terre crue, paille, chanvre) et des solutions low-tech ou bioclimatiques, plutôt que des constructions énergivores en béton et verre. Des architectes comme Philippe Madec, Dominique Gauzin-Müller ou Alain Bornarel (avec le Mouvement pour une Frugalité heureuse et créative) ont contribué à formaliser ces approches et à sensibiliser la profession aux bénéfices d’une architecture plus simple, intégrée à son environnement et moins coûteuse en énergie.
Redéfinir le confort
Dans un reportage de Kaizen Magazine (avril 2025), des habitants de tiny houses, yourtes et habitats partagés racontent leur quotidien. Tous soulignent que moins d’espace et moins d’objets ne signifient pas moins de confort : au contraire, ils gagnent en liberté, en temps, en liens sociaux et en contact avec la nature. Le confort se mesure désormais à la qualité de vie et au sens que l’on donne à son habitat, plutôt qu’à la taille ou au luxe du logement. Les récits mettent en lumière un élément clé : la sobriété ne signifie pas une perte de confort, mais une redéfinition de celui-ci.

Habitat léger et sobriété : un projet pilote en Bretagne
En 2022, le Cerema a étudié un hameau léger expérimental à Commana, en Bretagne, composé de 7 habitats réversibles de 15 à 25 m² chacun. L’évaluation montre que ces petits logements émettent deux fois moins de CO₂ sur leur cycle de vie que des maisons classiques, tout en maintenant un niveau de confort thermique satisfaisant grâce à des solutions simples comme la ventilation naturelle, l’occultation ou l’ombrage. La consommation énergétique des prototypes reste faible, autour de 75 kWh/m²/an, soit moins de 350 € par an pour le chauffage. Cette expérience illustre concrètement comment des formes d’habitat compactes, modulables et écologiques peuvent contribuer à réduire l’empreinte carbone du logement tout en offrant un confort adapté aux besoins des habitants.
Habiter ensemble : coliving et mutualisation
La sobriété dans l’habitat passe aussi par la mutualisation. Pourquoi chaque foyer aurait-il besoin de son lave-linge, de sa tondeuse, de sa chambre d’ami utilisée deux fois par an ? Les expériences de coliving et de coopératives d’habitants proposent des solutions où l’on partage certains espaces (buanderie, ateliers, cuisines collectives) tout en gardant son intimité, ce qui permet de réduire très sensiblement les besoins en surface et en équipements par habitant.
Dans les résidences coliving, la surface privative par résident se situe fréquemment autour de 17 m² tandis que la part d’espace commun est souvent d’environ 50 % de la surface totale (Le marché du coliving en France, BNP Paribas Real Estate, 2020). Ce mode de logement permettrait donc d’envisager une diminution de l’empreinte liée aux équipements de l’ordre de ‑17 % à ‑24 % par habitant.
Au‑delà du gain d’espace, cette mise en commun permet aussi une gestion plus efficiente de l’énergie, des ressources et des biens (machines à laver, voitures partagées, etc.), transformant l’habitat individuel en un véritable écosystème collectif et sobre.

La sobriété urbaine : expérimenter l’appartement du futur
La sobriété de l’habitat ne concerne pas que les campagnes. À Boulogne-Billancourt, dans le cadre de la Biosphère Expérience, le navigateur et ingénieur Corentin de Chatelperron (fondateur du Low-tech Lab) a transformé un studio de 26 m² en “appartement du futur”. Entièrement équipé de solutions low-tech (toilettes vivantes, bioponie, panneaux solaires, élevage de grillons), il consomme 15 fois moins d’électricité qu’un appartement classique et seulement 10 litres d’eau par jour.
Ce projet montre que l’autonomie et la sobriété ne sont pas réservées à des cabanes isolées en montagne, mais peuvent s’expérimenter au cœur de la ville. Cet « appartement du futur » est aujourd’hui devenu une exposition itinérante, dont la première étape sera accueillie au MoHo du 4 novembre 2025 au 5 janvier 2026.
Vers un nouveau récit de l’habitat
La sobriété écologique appliquée au logement esquisse un avenir où :
- on réduit la taille des logements, mais on gagne en liberté et en temps de vie,
- on construit avec des matériaux locaux, mais on gagne en résilience et en santé,
- on partage certains espaces, mais on gagne en convivialité et en solidarité.
Habiter sobrement, ce n’est pas se priver : c’est repenser le rapport au “chez soi”, qui n’est plus une forteresse individuelle, mais un lieu de liens, un point d’équilibre entre autonomie et mutualisation.
